Sortie du 30 septembre 2024 par François Lannes Crête de la Plane (2340m) - Versant sud, par la vire Hélicoïdale

Dans le Dévoluy, on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise...

Itinéraire, carte // Fiche topo

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Conditions météo

Pluie le matin, jusqu’à 9 h.
Ciel bien chargé et sombre sur le Dévoluy, devenant un peu plus clair ensuite. Quelques passages de bleu dans l’après-midi.
Vent raisonnable.

Récit de la sortie

.
Au retour de la tentative du 17 septembre passé, dans le versant sud de la Plane, le fait de n’avoir fait qu’un tiers du parcours envisagé accaparait l’esprit Il fallait reprendre l’affaire pour en venir à bonne fin, et terminer ce projet imaginé il y a presqu’un an déjà.

Le problème – en plus de la forme physique – tient au climat incertain, en cet automne débutant.
Les jours prochains sont annoncés bien médiocres. La météo explique que le lundi 30 septembre et le mardi 1er octobre seront des jours moyens, avec de rares averses le lundi matin, mais sans pluie prévue pour la suite. Indice de confiance de 3/5. Et mercredi 02 octobre est à nouveau un jour de mauvais temps. Tout cela n’est pas engageant, mais c’est le seul créneau possible sous les dix jours à venir.
Un contrainte familiale empêchait la possibilité du mardi : le choix fut donc imposé au lundi pour tenter une sortie.

Lundi matin, à 8 h 00, je stoppe la voiture au bord de la piste qui monte au col de Rabou.
La pluie – fine – est bien là : elle est à l’heure au rendez-vous ! ! !
Un plafond sombre de nuages hauts ferme le ciel.
Au ras du sol, les brumes du Dévoluy, poussées par un vent du nord, remontent en nappes successives.
Dans ces conditions, il n’y a qu’une chose à faire, c’est d’attendre à l’intérieur du véhicule, que tout cela cesse – si cela doit cesser – et tâcher de somnoler en attendant.

Une heure plus tard, sans avoir dormi, les gouttes s’arrêtent. Mais pas les brumes.
J’ai froid, à l’intérieur, et la solution n’est pas à rester là sans bouger, à me frigorifier : il faut marcher, faire quelque chose.
Réfléchissant aux données de la situation, il est évident que tenter quoi que ce soit dans le versant sud est maintenant complètement proscrit. Les herbes vont être mouillées, les roches aussi, et donc ce n’est pas le moment d’y aller.
Or il reste des inconnues à lever sur la partie sommitale du parcours imaginé, tout au bord de la crête. Voilà donc ce qu’il est possible de projeter : monter jusqu’au point haut de la Plane, et observer en versant sud, par le dessus, comment se termine le cheminement potentiel. Cela permettra peut-être de guider les pas à faire lors de la vraie tentative, la future tentative. Pour aujourd’hui, tout est fichu, et il ne s’agira que de tourisme… dans les nuages !

Au col, le climat s’est amélioré : plus aucune pluie, peu de vent, pas de brume non plus. Ayant un instant levé les yeux de la piste, histoire de reprendre le souffle, ce souffle est à nouveau retenu par la surprenante beauté, la lancinante beauté de la nature, ici, froide en ce matin commençant, mais qui réchauffe le cœur par ses effets de robe accomplis.
Les pentes douces du côté nord du col – celles qui glissent vers l’intérieur du Dévoluy – ne sont plus du tout en vert maintenant. Un jaune-vieilli le remplace, qui tend au marron clair. Les reliefs à peine moutonnés inspirent le calme, la sérénité. La selle du col, en un arrondi accueillant, invite à une déambulation divagante, comme si un alcool fort avait enlevé toute raison. Par zone, un roux intense colore le sol, contrastant avec le gris plat des cailloux et le vert pointu de quelques rares sapins nains.
Dans cette version automnale, le col de Rabou prend des allures de steppe.
Et mon sourire revient – large – en observant ce paysage tant embelli.

La piste montant à la crête de la Plane, aboutit aux trois stations-relai de transmissions hertziennes. Notre monde moderne conduit à de drôles de constructions, dont les matériels hétéroclites faits de tiges, de tubes, de plaques et de disques sont devenus tant indispensables à la vie actuelle.
Le vent qui forcit oblige à se protéger derrière un des baraquements, et à ajouter une épaisseur de protection supplémentaire. Deux-trois poignées de fruits sec, et une gorgée d’eau, tentent de maintenir la « chaudière » en bon état de fonctionnement. Qui sait ??

Sur la crête elle-même, la déambulation se fait erratique.
Les nuées ne viennent plus du nord, maintenant, mais du sud. En effet, un soleil timide, perçant parfois la couche des nuages hauts, vient tiédir les flancs inférieurs de la montagne, ceux au sud, provoquant alors une évaporation, diaphane en bas mais plus dense en haut. Ces petits nuages remontent les pentes, lèchent la falaise, atteignent la crête, puis sont retournés comme des crêpes par le vent du nord qui les renvoie dans leur versant sud en les dispersant.
Ce spectacle serait joli s’il ne me cachait la vue du versant. Je ne peux rien comprendre, ou presque rien, des secrets que je pensais dévoiler là-dessous.

Au point haut de la crête de la Plane, le climat s’est légèrement amélioré. Le vent sèche le sol.
D’un éperon qui s’avance vers le sud, une pente se présente, possible à descendre. Elle est en herbe avec beaucoup des strates calcaire empilées horizontalement. Ces couches successives de roche forment des marches assez larges pour les chaussures : tout devrait aller bien.

Une tentative dans ce flanc est alors amorcée, timidement.
La pente devient rapidement raide. Le sol est encore un peu souple de la pluie récente et il est préférable de sortir le piolet en plus du bâton rigide. Des touffes d’herbe ont poussé sur des mottes de terre, suffisamment denses pour qu’un ancrage dudit piolet soit correct.
Après un zig et un zag, le cheminement se prolonge, au pied d’une falaise qui prend vite de l’ampleur au fur et à mesure de la descente. C’est en la rasant au plus près que l’on est le mieux rassuré. Les nuées continuent de remonter du bas laissant planer un doute sur les reliefs en dessous.
Le décor est affolant. L’exercice donne la sensation d’une descente aux enfers. Pourtant les marches sont bien présentes dans les herbes. Les cailloux sont stables – quand on les choisit bien. Tout cela est encore raisonnable, mais le cœur bat la chamade.
L’angle de la pente augmente encore un peu.
La vision vers le bas qu’impose cette descente tétanise, et l’impression reçue est l’impossibilité de continuer. Pourtant la réalité est qu’il est faisable de continuer.
Je descends…

Maintenant, la suite finit par être vraiment impossible.
Perché sur un promontoire plat d’un mètre carré de surface, je fouille le vide en dessous. Un surplomb cache tout, et rien ne se voit du prolongement.
Je sonne la retraite !

Revenu sur la crête, le temps semble stabilisé dans le mieux, sans pour autant être parfait. Mais il est suffisant…
Bonne nouvelle !
N’ayant plus rien à faire en exploration du versant sud, je vais alors visiter le Trou de Barges, un peu plus loin à l’ouest. Cette belle arche, d’environ six mètres d’ouverture, est magnifique. Avec un certain angle du soleil, les rayons qui la traversent vont former une tâche de lumière surprenante dans l’ombre projetée sur le versant du vallon de Barges.

C’est à ce moment qu’un souvenir me revient, issu des observations sur le Géoportail faites au cours de l’hiver passé.
Une trace de bêtes était visible sur la photographie aérienne. Elle parcourait à peu près horizontalement le flanc sud de la crête de la Plane, dans la partie haute des pentes centrales en herbe. Logiquement, cette trace devrait se trouver une trentaine de mètres en dénivelée sous le Trou de Barges. Or, sous le Trou justement, la pente est suffisamment facile pour descendre et aller vérifier la chose. D’ailleurs, en regardant en bas, effectivement, une trace probable se laisse deviner.

Ni une ni deux, je descends.
La trace est bien là, sur une selle herbeuse confortable. Elle est horizontale – légèrement descendante – et fort bien visible.
Que faire ???

De suite l’envie se forme de l’emprunter et d’aller voir où cela mène.
D’avance j’ai la réponse : je sais qu’elle mène pile à la verticale de la vire hélicoïdale, à environ une centaine de mètres de dénivelée au-dessus de la sortie haute de cette vire … Ce sont les analyses faites sur l’ordinateur qui fournissent cette réponse.

C’est là qu’une idée folle me vient à l’esprit et me glace le dos : et si je prenais cette trace horizontale, pour descendre ensuite à la vire – à sa partie finale supérieure ??
Et puis si je descendais toute la vire, comme il y a 13 jours plus tôt, et rentrais ensuite par la Tête du Château ???
Si, donc, je faisais le parcours imaginé cet hiver, non plus dans le sens « montée », mais dans le sens « descente » ??
Et si j’abandonnais l’idée de remonter tranquillement au point haut de la Plane, sans prendre aucun risque, avec un retour facile par la crête ‘est’ jusqu’au col de Rabou ???

A ces évocations, j’ai l’impression que mon cerveau se partage en deux.

D’un côté, la partie sensée du cerveau, celle raisonnable, explique qu’il s’agit là d’une idée folle – effectivement ! Toutes les précautions apprises au cours des nombreuses sorties préalables, toutes les sécurités appliquées précédemment – depuis des années – seraient ainsi jetées aux orties ?? Car il est bien connu que l’on ne doit pas partir dans ces pentes raides alors que la pluie vient d’y tomber dessus, pluies – qui plus est – tombées ce jour seulement quatre heures de temps auparavant.

De l’autre, une tentation « méphistophélesque » me suggère qu’il suffit d’aller simplement quelques mètres en avant, tant que tout est facile, que le demi-tour pourra toujours se faire si cela se complique trop. Cette tentation m’explique encore que ces pentes-là ne doivent présenter aucune difficulté majeure – « tu le sais, n’est-ce pas ?? » - sinon elles ne seraient pas en herbe. En puis enfin, que descendre la vire hélicoïdale, c’est faisable, « puisque tu l’as fait la dernière fois ! ».
« Même le petit mur, tu l’as réussi, à l’aise ! »

Je ne sais plus quoi faire.
Mais, petit à petit, à force de laisser passer les secondes, je sens bien que je vais faire une vraie conn…. !

Cette situation m’est déjà connue. Il est déjà arrivé d’avoir à y faire face.
A l’époque il avait été inutile de réfléchir trop longtemps. La décision avait été prise rapidement. Le choix d’alors avait été celui de l’action.
Alors, aujourd’hui, j’ai « actionné » ……… en m’engageant sur la trace des bêtes.

Elle était facile, bien plate, même si pas très large, et visible de façon magnifique dans ces travers abrupts. Le seul bâton rigide offrait tout le confort utile.
J’avance…
Un premier éperon. Elle continue.
Un pierrier à traverser : sans problème.
Un petit ravin, au sol légèrement pierreux : délicat, mais avec un peu d’observation, les chaussures sont posées où il faut et cela passe bien.

Tout en avançant, des questions tombent sur les difficultés potentielles à venir.
Le ravin central à traverser ?
Je sais d’intuition que cela peut s’avérer embêtant s’il y a des dalles affleurantes et inclinées vers le bas.
Normalement, j’ai dû observer qu’une trace de bêtes se trouverait là, pour le traverser.
A valider, mais une fois arrivé au ravin seulement. Aie !
Autre question : en bas des pentes d’herbe, le fameux raidillon de trente mètres qui amènera en haut de la vire : comment se présentera-t-il ??
En toute logique, ce que j’ai vu de ces trente mètres, la dernière fois, par en dessous, devrait signifier que cela ira bien. Mais les ai-je bien vus, ces quelques mètres ?? Et ne cacheraient-ils pas une difficulté imprévue ??
Et puis encore : sur la vire hélicoïdale, le souvenir des plaques calcaire lisses remontent à l’esprit. Il ne faudrait pas qu’un écoulement de pluie de ce matin les ait recouvertes et les rende glissantes. Aie !
Là, j’ai la parade : la corde et les pitons, pour poser un éventuel rappel. Ouf !

J’avance, parfois je trottine presque à cause de la fébrilité qui m’a pris, tout en ayant ces interrogations qui tournent dans la tête et qui font monter la tension.

Il est maintenant trop tard, trop loin, trop fatiguant pour envisager de revenir sur mes pas, de faire le demi-tour par le haut, et par la crête.
Il n’y a plus d’alternative ; la descente est la seule solution. Elle doit réussir !

Arrivé contre le ravin central, il n’apparaît pas sympathique, à ce niveau. Et puis le petit ressaut rocheux piégeux, pressenti sur photo, se devine là-dessous : il ne faut pas s’engager dans le ravin ici, c’est dangereux. Il faut par contre faire un crochet sur la droite, dans cette zone en herbes et non en rocailles, afin de perdre un peu d’altitude et de me trouver alors sous le ressaut. C’est là que doivent passer les bêtes.
La manœuvre réussi.
Et le « Trottoir » qui se trouve là – un grand classique du Dévoluy – se montre, parfait, évident, rassurant, qui permet de traverser le ravin en toute simplicité.
Et une question de réglée !

Je prends le temps de faire quand même quelques photos des falaises supérieures. Ces instants ont quelque chose d’exceptionnel, d’unique, quelque chose dont il faut profiter malgré la sensation d’inquiétude qui oppresse. Deux clichés panoramiques sont faits, qui serviront à alimenter les prochaines études à la maison.

Le raidillon pour rejoindre le haut de la vire s’avère n’être qu’une simple formalité, vraiment sans difficulté. Et le souci sur ce point était vraiment inutile.
Et voilà, la vire est rejointe !
A partir d’ici, le parcours est connu, et surtout, il a déjà été parcouru à la descente. C’est sûr, je suis sauvé !

Comment expliquer la suite ?

Soulagement.
Respiration.
S’assoir et manger.

Et profiter, surtout. Oui profiter !
Il ne reste maintenant plus qu’à regarder les lieux – vraiment sensationnels ici – mémoriser, faire des photos, rire aussi.
Cette descente de la vire va être un régal. Je sais d’avance où je vais poser les pieds, dans ce cheminement pourtant si secret. L’impression d’être déjà un « vieil ami » de cette vire souffle dans les poumons un oxygène réparateur. Et puis descendre n’est pas fatiguant…

Sur le « balcon suspendu », un regard vers le bas, vers le pierrier au pied de la falaise, dévoile un énorme troupeau de bêtes. Elles se reposent, à l’arrêt debout ou bien couchées sur la pierraille, tranquilles.
J’arrive par le haut, elles ne m’ont pas entendu venir ; elles n’ont pas pu me voir non plus.
Quel spectacle !
Je pense que c’est la première fois que cette situation m’arrive. Et je prends des photos.
Sur l’ordinateur, le soir, je compterai les deux groupes : cela donne 37 et 29 mouflons.

Les dalles sous l’auvent sont sèches : le dernier problème est réglé !
Plus rien n’empêchera de rentrer à la voiture, maintenant.

La crête face à la Tête du Château est superbe et se descend si facilement.
C’est ensuite le vallon sous la Tête, magnifique, tranquille, dans un relâchement quasi complet.
Les vaches du troupeau local sont toujours là, au repos elles aussi, allongées sur le sol : ce doit être une tradition pour les habitants des lieux !?

Reste la remontée au col de Rabou par le sentier GRP. Ce sont quand même 260 mètres de dénivelée !
Prise à rythme lent, elle s’absorbera aisément.
Beaucoup de pierres ont baroulé du travers et se sont arrêtées sur la plateforme du sentier. Elles sont repoussées dans le talus aval d’un discret coup de chaussure. Cela nettoie le sentier (on ne perd pas les réflexes… !).

Au col de Rabou, la boucle est terminée !
C’est la joie !
Grande, et inespérée, car je n’aurais jamais misé un kopeck sur le fait de faire un telle boucle, en quittant la voiture ce matin.
Oui, je n’aurais jamais cru réussir cela.
Et à la descente, en plus !
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Randonnée réalisée le 30 septembre

Dernière modification : 16 octobre 2024

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Auteur :

Avis et commentaires

Voilà donc la suite (et fin ?....) de l’épopée !
Quel récit palpitant, et au passage, tes hésitations et réflexions me sont familières (bien que pour moi dans des situations moins compliquées !), et ça m’a fait sourire....
Et puis des photos très parlantes (du coup je sais que je n’irai pas là-bas ! lol ! ), bravo et merci pour le partage de cette aventure !

Bonjour Genevière,

Merci de ton commentaire, qui est vraiment agréable.

A propos de l’adrénaline, et du symptome que tu évoques rapidement, il n’y a qu’une seule ordonnance possible : il faut aller sur place ! Il faut soigner le mal par le mal....

Pfff quel récit haletant...et comme l’adrélanine est une sacrée drogue...merci pour le partage. (cette nuit j’ai justement rêvé de la montagne de Barge, c’est moi qui le deviens...)

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