Sortie du 17 septembre 2024 par François Lannes Crête de la Plane (2340m) - Versant sud, par la vire Hélicoïdale
Sur cette très belle photo - aimablement prêtée par Dyn's pour illustrer ce récit - beaucoup d'informations peuvent être lues.
Itinéraire, carte // Fiche topo
Topo de référence
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Conditions météo
Temps variable, avec alternance du bleu et du gris dans le ciel.
Pas de vent.
Sol sec.
Récit de la sortie
La montagne de Barges
En introduction au récit de cette sortie du 17 septembre 2024, voici ce que j’écrivais presqu’un an plus tôt.
2023 - Fin octobre :
21 h 00 viennent de sonner.
Le bruit se calme dans la maison.
Les tâches de la soirée sont finies : repas, vaisselle, rangements.
Je m’installe au bureau, devant l’écran de l’ordinateur et fouille l’explorateur avec la souris.
Le dossier « Dévoluy - Montagne de Barges » s’ouvre : je peux commencer le travail.
Cela fait maintenant douze jours que cette fièvre m’a pris, et il m’est impossible de lui échapper. Je pense « Barges », je vois « Barges », j’imagine « Barges ». Et même « Barges » m’empêche de dormir ! Ce n’est pas croyable…
Si nous n’étions pas en octobre - en fin du mois d’octobre - et si la pluie ne s’était pas mise en route pour cet automne tardif, je crois que je serais « sur Barges », en train de marcher, de monter dans ses pentes herbeuses, ses belles pentes herbeuses. Elles m’obsèdent, oui, littéralement.
Je passe en revue la petite centaine de photos récoltées sur Internet, cette série de photos qui montre tout ce qu’il est possible de voir par ce moyen informatique. Cela en fait beaucoup, mais hélas c’est encore trop peu. C’est trop peu parce que la qualité des images est insuffisante pour entrer dans les détails de ce versant complexe : il n’y a pas assez de pixels... !
La seule fois où je suis passé sur place, dans ce secteur, c’était le 21 juin 1980 quand, après une nuit sous tente au-dessus du Bois Rond, Michel et moi étions partis pour l’escalade du pilier ‘est’ de Bure, le fameux pilier Desmaison. Ce matin-là, tôt, je n’avais prêté aucune attention à cette montagne de Barges sous laquelle nous marchions. Les soucis étaient focalisés vers d’autres rochers ! Et puis je n’avais aucun appareil photographique. Depuis cette époque-là, je ne suis jamais revenu ici, et ne possède donc aucun cliché spécifiquement tourné vers ces pentes d’herbes, celles du versant nord-ouest, pentes qui aujourd’hui me fascinent tant. C’est pour cela que je glane toute information possible à l’aide d’Internet.
Le versant sud, lui par contre, n’est pas complètement un inconnu : mais il ne fut vu que de loin.
C’est en 2008 que je m’en suis approché le mieux, lors d’un passage à la fontaine de Bure. Ses nombreux éperons rocheux, verticaux, séparés par des bandes d’herbe d’un vert très timide, avaient capté les regards, et de longues études – toujours sur photos « Internet » – étaient restées sans suite à cause de la raideur incroyable de cet assemblage. Atteindre la crête de Foisse par ce côté sud est resté une impossibilité pour moi.
Ainsi, cette montagne de Barges n’avait qu’un tout petit peu alimenté mes observations.
Et c’est seulement courant septembre 2023 qu’elle est revenue sur le devant des réflexions : une sortie-topo de Laurence racontait les détails de la crête de Foisse, avec des photos très instructives. C’étaient les premières photos que je voyais de ces lieux qui sont – on doit se l’avouer – assez difficilement accessibles : le fil de cette crête est si aigu qu’il tient à distance respectueuse les randonneurs parvenus proche d’elle (c’est-à-dire à la crête de la Plane, en général), et qu’une prudence – tout à fait de mise – dissuade d’aller voir plus loin ce dont il s’agit.
Il fallait bien le culot de Laurence, son courage certain, pour avancer seule, sans information, sur cette portion de montagne.
Dans les commentaires de ce topo, SebL donnait d’autres précisions, notamment celles de la « quasi-traversée » qu’il a faite de cette crête de Foisse en 2009 et en 2010. SebL évoquait aussi le grand guide Guy Abert qui a parcouru et équipé en mode alpinisme cette même crête, dans sa totalité. Ces données-là étaient les bienvenues et m’ont enchanté. En particulier une magnifique photo du versant nord-ouest, photo que Guy Abert a mise en ligne et qui a d’emblée catalysé mon imagination.
C’est donc en lisant ce topo de Laurence, et en analysant le Géoportail, que sont apparues les pentes nord de la crête de Foisse, herbeuses en bonne partie. Et c’est à partir de là que la fièvre évoquée plus haut a lancé son infection.
Mais cette infection n’avait été lancée ni sur le bon versant de la montagne ; ni pour la bonne crête !
C’était la crête de la Plane qu’il fallait regarder. Et pas le versant au nord, mais celui au sud…
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Récit de la sortie du 17 septembre 2024 :
Ça y est : je stationne la voiture le long de la piste qui monte au col de Rabou.
C’est le grand jour !
Cela fait quasi un an que j’attends cette situation et l’impatience est forte, même si l’inquiétude pique aussi un peu. Heureusement que cet été j’ai pu occuper le temps sur le Rissiou, dans ses forêts en versant nord, pour attendre que les jours de forte chaleur s’atténuent avant de me jeter au soleil de ce versant sud de la Plane.
Le sac est fait. Il comprend tout ce qu’il faut pour poser un rappel de vingt mètres, au cas d’une retraite nécessaire à faire. Les deux piolets sont accrochés à l’arrière. Tout….
Le col de Rabou est une première pour moi : je ne connais pas ce coin du Dévoluy, et c’est avec un très grand plaisir que se fait la douce montée vers le col.
Traversée du col : ce sont les steppes du Dévoluy….
Il faut redescendre ensuite, dans le versant sud, sur le sentier GR de Pays.
Le soleil est maintenant bien levé. Le ciel est bleu intense. La journée promet d’être parfaite, et c’est vraiment ce qu’il faut pour se lancer dans cette inconnue.
Oui, parmi les quelques hypothèses construites devant l’ordinateur, j’ai choisi le parcours que j’ai surnommé « les vires Hélicoïdales ».
C’est un parcours dans le versant sud, donc, qui imagine remonter ce versant de son point le plus bas jusqu’au point haut de la crête de la Plane.
Le projet est plutôt ambitieux.
Et si le cœur cogne quelque peu ce n’est pas simplement à cause de la marche…
Vers 1650 mètres, au niveau d’un panneau bois, je quitte le GRP et entame la traversée à flanc devant mener au col de la Tête du Château. Ce choix n’est pas le meilleur car, dans ce travers sans aucune trace, la marche est pénible à cause des cailloux à moitié masqués par les herbes : il ne faut pas se tordre les chevilles ! Par contre, cette traversée a l’avantage de faire passer à côté de nombreux anciens enclos à bêtes (enfin, ce que je suppose qu’ils ont été), faits pour le pastoralisme d’antan. J’en suis tout étonné. En même temps que ces découvertes, le bruit de sonnailles se fait entendre : deux troupeaux sont montés presque jusque-là, un de chèvres et un de vaches ! Quelle surprise ! Nous sommes en pleine montagne, loin de tout village, et ces troupeaux semblent en complète liberté…
Voulant avoir un bon point de vue sur le versant sud dans son ensemble, je coupe sur la gauche du vallon, de façon à grimper directement au sommet de la Tête du Château. C’est un peu raide, mais c’est surtout un bon exercice d’échauffement avant la grosse affaire à venir.
De cet endroit, le panorama sur la vire du bas est parfait.
Quelle présence !
Dans ce contrefort inférieur du versant, la falaise fait plus de cent mètres de hauteur. Et cette vire la coupe entièrement, selon une inclinaison de 45°. Il y a vraiment de quoi être impressionné. La séance photo et jumelles occupe un long moment, au cours duquel l’attrait et l’hésitation à m’engager sont en opposition frontale.
D’expérience du Dévoluy, je sais qu’il n’y a qu’en allant sur place, contre l’obstacle lui-même, que la réponse concernant le franchissement possible ou non peut être tranchée. Une fois encore, ici, à cinq cents mètres de distance, rien ne peut se deviner. Et le mystère reste donc impénétrable.
Mais le goût de ce mystère est sans pareil.
Ce goût pique un peu.
Il excite aussi.
Il inquiète enfin.
Et ce mélange étonnant – détonnant peut-être même ! – est pourtant le vrai moteur, celui qui pousse le « bonhomme » vers ces destinations improbables, insensées peut-être, mais attirantes. Ce sont elles, oui ! les Terres Inconnues d’aujourd’hui…
Face à la falaise, la montée se fait sur une croupe aigüe.
Au fur et à mesure du rapprochement vers le mur rocheux, la vire s’escamote partiellement. D’ici, à sa droite, on n’en voit plus que la première moitié. Le reste est caché derrière le gros pilier qu’elle contourne. C’est à cause de cela que le terme d’hélicoïdale lui va si bien !
Sur les photos de loin, deux tâches noires sont visibles au niveau de la vire. Tout prête à croire qu’il s’agit-là de cavités, et peut-être même de grottes. Dans cette optique, une lampe de poche et une lampe frontale ont été ajoutées au contenu du sac. Des imaginations flamboyantes m’ont fait penser qu’il pourrait y avoir, au fond de ces noirs insondables, un long réseau de galeries, et qu’en plus de la randonnée du vertige, s’additionnerait une expédition spéléologique.
Las !
Maintenant que je suis à trente mètres du premier « noir », et que le soleil levant en éclaire bien le fond, je constate, tout penaud, qu’il ne s’agit que d’un simple auvent, certes avec un beau surplomb de trois mètres, mais de rien de plus ni de mieux.
Ne m’avouant pas battu, enfin pas encore, je veux croire que les deux lampes seront utiles pour le second « noir », un peu plus haut.
Pour le moment, sous ce premier auvent, ce sont les très nombreuses crottes de chamois ou mouflons qui jonchent le sol.
La sortie de l’auvent est aisée, mais n’offre qu’une perspective courte, de peu de mètres seulement.
Débouchant sur un promontoire, la suite se fait à droite, derrière un petit pilier.
Là, c’est le choc !
Aucune photo ne pouvait montrer cette partie de la vire, repliée qu’elle est dans un renfoncement de la paroi.
Et ce que j’y vois, n’est pas réjouissant.
C’est un cône, resserré dans le bas, se jetant par-dessus la falaise – falaise ici d’une trentaine de mètres de hauteur – cône fermé en haut par un mur en rocher blanc-jaune, couleur connue des grimpeurs pour être synonyme d’un rocher de mauvaise qualité…
La surprise est, elle aussi, bien mauvaise.
Fiché sur place, je détaille la difficulté, fais quelques photos, et reste bien dubitatif.
En quelques pas d’équilibre à mi-hauteur du cône, je rejoins la base du mur. Il n’est pas très haut : peut-être deux mètres ? Mais les prises sont peu larges, remplies de cailloutis et légèrement déversantes.
Un premier essai de deux pas ne réussit pas à le franchir.
Il faut redescendre ces deux pas, et réfléchir mieux.
Nettoyer les cailloutis.
Chercher des prises de mains confortables : or elles ne sont pas dans le bon sens pour tirer dessus, ni ne semblent très solides.
Pour les pieds maintenant ; il faut anticiper l’enchaînement des pas à faire, et choisir le bon pied qui commencera : tout est là. Oui, c’est dans l’enchaînement « pied droit – pied gauche » sur les bonnes prises respectives que cela se joue. Ne pas s’y prendre dans le bon ordre et tout se compliquera.
Quand la chose est réfléchie, alors il faut y aller, calmement, en équilibre, sans trainer.
Un pas ; deux pas ; trois pas ; quatre pas.
Ça y est, le mur raide est franchi et son inclinaison diminue maintenant. Il n’y a plus besoin des mains, et en quelques autres pas rapides, je me sors de ce « mauvais pas » !
Ouf !
C’est alors le second trou « noir ».
Bis repetita, il ne s’agit ici encore que d’une cavité sans profondeur, juste bonne à protéger d’un jour de pluie. Mes lampes n’auront donc servi qu’à alourdir le sac. Peste !
A gauche, il y a le premier arbre.
C’est un bel arbre pour les lieux. Un tronc de presque vingt centimètres de diamètre : c’est vraiment étonnant à voir à cette altitude, et il engendre un regain de vie fort appréciable dans les circonstances.
Après l’arbre, c’est le « balcon suspendu ».
Vingt mètres de long par un mètre de large (à peu près), à frôler le vide.
La trace est plate, peu raide, bien suffisante pour passer sans angoisse.
Et on arrive au second arbre.
Lui est nettement penché vers l’aval, poussé qu’il doit avoir été par la neige qui glisse, lors des hivers, et qui l’a dévié de sa course verticale. Le tronc a été percuté par des pierres que les bêtes ont dû lui faire rouler dessus et une plaie malsaine sur l’écorce risque de lui jouer un mauvais tour dans les années futures. Je suis persuadé que ces deux arbres sont très vieux, compte tenu des lieux et conditions climatiques dans lesquelles ils ont vécu. Mais rien ne prouve cette idée qui me vient.
La suite, c’est un banquette, redressée à 45°, d’une herbe mélangée avec des pierrailles. Les bêtes ont marqué ici, avec leurs sabots, suffisamment de marches dans la terre pour rendre le passage facile, sinon qu’il est essoufflant.
En haut de cette banquette, en un léger virage à droite, c’est l’arrivée sur un promontoire qui marque la fin de la vire hélicoïdale, face au ravin central, ravin qui déboule de tout en haut de la Plane.
Ça y est, l’obstacle de la vire est franchi !
Youpi ! ! !
Fatigué, je m’assois dans l’herbe, pose le sac et bois un bon coup d’eau.
Tout content d’en être là, je réalise – mentalement – la position qui est la mienne ici : tout en haut de la vire, 100 mètres au-dessus du pierrier inférieur, au bas des pentes centrales en herbe, dans un versant qui fait presque 400 mètres de haut…
La suite visible est un raidillon d’herbes et de pierres, dont la remontée semble faisable sans gros problème. Et au-delà, cela a l’air facile encore.
Le gros problème, par contre, c’est la forme physique.
Depuis le départ, j’en suis au troisième arrêt casse-croute, dans l’espoir que ces restaurations (rapides) iraient combler le trou sans fond de l’estomac. Mais c’est peine perdue, le trou reste sans fond. Et le souffle n’en peut plus.
C’est la mort dans l’âme que je sens venir le moment de me résigner à lâcher l’affaire et à décider de redescendre. Je ne peux plus avancer. Le « bonhomme » est cuit.
Cuit de chez cuit…
Il va falloir redescendre.
Après réflexion, plusieurs arguments viennent expliquer cette fatigue, dont déjà un manque d’entraînement (un mois depuis la dernière sortie), une alimentation des deux jours précédents insuffisante et mal calibrée (pas de plat de pâtes le soir !), et aussi certainement un manque au niveau du moral (car la suite de cette exploration est encore longue et très incertaine).
Bref, je dois lâcher l’affaire.
Et puis intervient un autre facteur encore dans cette situation : le ciel !
Concentré sur le déroulement de la montée, c’étaient surtout les pieds et les mains qui accaparaient l’attention. Mais pas le ciel. Or il s’avère que celui-ci a mauvaise mine maintenant : des nuages bien sombres ont tout envahi, là-haut, et tous les lointains sont chargés d’une façon fort inquiétante. Je n’ai pas fait attention à ce changement de temps !
Poussés aujourd’hui par un vent du nord, ces nuages déboulent par-dessus la crête sans que je ne les voie arriver, moi qui suis dans un versant sud. Le danger n’est pas prévisible du tout. Et si l’un d’eux venait à décharger une pluie, je serais pris par complète surprise dans une position très très désagréable au milieu de ce raide versant.
Il n’est pas question de prendre un quelconque risque à cause du temps qu’il fait.
Donc, c’est sûr, je lâche l’affaire.
Pour la descente, il n’y a que le petit mur qui soit inquiétant. Mais avec la recherche faite à propos de l’enchaînement des pas à faire – pied droit / pied gauche / pied droit / pied gauche – il n’y a pas de vrai souci, et le mouvement s’exécute sans coup férir.
Après ce passage, dégagé de toute pression mentale, le retour au bas de la vire se fait en touriste, profitant des panoramas exceptionnels qu’elle offre sur les « collines » du secteur de Rabou et du Petit Büech.
Le mauvais temps ne s’étant finalement pas confirmé, et un peu de bleu ayant même à nouveau coloré le ciel, c’est tranquillement que la remontée au col de Rabou est entamée. Mais celle-ci est poussive car les jambes sont lourdes, et le souffle est court. Il est clair que les préalables à une telle sortie n’étaient pas remplis comme il se doit. Le programme complet sera donc pour une autre fois – peut-être cet automne, encore, mais rien n’est sûr.
En tous cas, la première énigme de ce parcours est levée, et bien levée : la vire hélicoïdale se franchit, assez facilement pour une randonnée du vertige, et elle ouvre la porte vers les parties supérieures de ce versant. Sous le sommet, une seconde vire, en hélice elle aussi, pourrait permettre un accès direct au point haut de la crête de la Plane. Cette hypothèse, faite sur photo au cours de l’hiver, est très incertaine car plusieurs passages n’ont pu être éclaircis avec ce seul moyen. Donc il faudra là aussi aller voir…
C’est à moitié satisfait que je rentre à la maison, car le projet n’est qu’à moitié solutionné.
Je sais bien que ce sont les projets pour le futur qui aident à vivre le présent, mais quand même, j’aurais bien aimé le régler d’un coup, celui-là…
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Photos
Auteur : François Lannes
Avis et commentaires
Un récit vivant et vibrant. Et ces nombreux détails nous propulsent avec toi sur ces sentiers !
Ah pardon....j’avais compris que tu l’avais solutionné en faisant ton topo. J’ai hâte de lire la suite de l’aventure !
Bonsoir vermatoiz,
Merci pour le compliment. Oui ce fut une épopée...
Mais pour la solution complète, il faut attendre le second récit ... celui qui est encore dans les tablettes, à l’écriture, mais qui ne saurait tarder.
A bientôt !
Quel récit, François ! Une véritable épopée !
Et finalement tu l’as solutionné en plein, ce projet, bravo à toi !
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