Sortie du 3 février 2024 par gegers Tour des Rochers du Parquet du Pas de l’Aiguille au Pas de la Selle

Mais qui sont ces gens qui savent vivre pleinement au présent ? Existent-ils vraiment les "carpe diem", les "savourer l’instant" ? S’ils arpentent réellement la Terre, alors je les envie. Car je ne suis pas de leur trempe. Lorsqu’à la beauté aride d’un pierrier chaotique s’ajoute la splendeur exiguë d’une combe ombragée, l’esprit n’est parfois pas à ce que le corps fait. Car tandis que le corps n’a d’autre choix que d’agir, l’esprit anticipe, évalue, se projette, baguenaude. Certains parviennent à s’émerveiller comme on entre dans un songe. C’est un exercice, une facilité. Dans leurs yeux la nature devient un tableau, et sur cette fresque sans bordure tout n’est que détail : une herbe folle qui vole dans le vent du nord, une pierre dont on se demande si elle a été posée là hier ou il y a mille ans, un champ de neige qui fond mollement sous les assauts d’un trop généreux soleil de janvier, le chant d’une mésange qui se perd dans le raffut d’un torrent.

Et si vivre l’instant, c’était aussi oublier ? Car l’âge venant, la vie devient de plus en plus une somme de délicieuses frustrations. Tant de choses à voir, à lire, à écouter, et si peu de temps. A l’addition des beautés que l’on découvre pour la première fois se mêle le besoin de renouveler des joies passées, de revisiter des lieux qui nous ont offert la plénitude et le bonheur sans conditions. Ainsi, les bonheurs s’ajoutent, les plaisirs s’additionnent, mais le temps, lui, ne s’allonge pas.

Vieillir, lorsqu’on est un randonneur de la fin de semaine, revient donc à faire des choix, à diriger nos pas vers une destination plutôt qu’une autre. Et tout en déambulant, au fond de la saveur de cet instant présent, se trouve toujours une petite tâche diffuse, qui vient, à peine, ternir l’éclat du moment : et demain, où va-t-on ?