Sortie du 19 février 2023 par gegers Tour de la Tête des Baumiers et Tête Chevalière (1951m), descente par sa face nord

Lorsque le chamois des Alpes a bondi, le 5 juin 1944, nous n’étions rien. Aujourd’hui, c’est bien grâce à lui que nous sommes ici, à hisser nous aussi, près de 70 ans plus tard, nos carcasses sur les hauteurs sauvages des hauts plateaux du Vercors, où nous espérons trouver suffisamment de neige pour déambuler raquettes aux pieds, profiter de l’instant là où les paysages ne semblent avoir de fin. De fait, après nous être hissés, dans l’ombre et en crampons, entre les interstices rocheux du Pas de l’Aiguille, nous voici à chausser ces fort pratiques appendices, malgré un enneigement que nous pourrions qualifier de misérable, proche d’une mi-avril. Néanmoins, la vue du Mont Aiguille, joueur et occupé à tenter vainement de se masquer derrière une brume inoffensive, suffit à nous laisser nous sentir au bon endroit, au bon moment.

Du Refuge de Chaumailloux, nous partons tout droit vers l’infini, ou plutôt vers la Tête des Baumiers, que nous contournons sans difficultés par sa face sud, nous enfonçant parfois jusqu’aux genoux dans une neige inégale. La suite de l’itinéraire, dans la Plaine de Chamousset, est un plaisir malgré cette nécessité de louvoyer entre les patchs prématurément privés d’or blanc. La vue s’ouvrant sur le Dévoluy et le secteur de la Montagnette constitue ici une formidable nourriture pour le corps et l’esprit. Quelques randonneurs se laissent observer ici ou là, mais en cet instant précis, naviguant entre les rares sapins, sentinelles veillant sur le plateau, nous sommes des trappeurs du Grand Nord, des découvreurs intrépides, des aventuriers de l’extrême.

La vue du sommet de la Tête Chevalière rajoute à ce sentiment de plénitude et d’accomplissement. Face au Mont Aiguille, cette inamovible écaille calcaire, témoin de notre bonheur éphémère, nous autres petits êtres de passage à qui la dégustation d’une bière fraîche, face à cette vue fantastique, procure un petit goût d’éternité.

La descente se fait ludique, puisque nous prenons au plus direct dans les pentes nord-ouest, encore gorgées de neige, sous le sommet du jour. L’abondance de vieille poudreuse, pourrie par le soleil de l’après-midi, tranche avec la frugalité jusqu’ici constatée. Ce n’est qu’un leurre, un plaisir fugace, et si les raquettes restent utiles pour retrouver l’entrée du Pas de l’Aiguille, ce manque inquiète et préoccupe.

La descente jusqu’au Foyer de Fond de Richardière, sous un soleil généreux, complète cette toile de maître. Le Vercors, dans sa rugosité bienveillante, nous a laissé une nouvelle fois goûter à une infime partie de ses secrets. Un petit goût d’immortalité.