Sortie du 19 octobre 2024 par gegers La Botte (2248m), le Grand Van (2448m), le Petit Van (2439m), la Croix de Chamrousse (2253m), en boucle

La randonnée est-elle le luxe des résidents des pays en paix ? Pour beaucoup d’entre nous, la question ne se pose pas. On marche comme on respire, sans même penser au fait qu’il s’agit là d’une activité facultative. Qu’en est-il dans ces pays frappés par la guerre ? Des gens ont-ils réalisé aujourd’hui l’ascension du Mont Hoverla, dans les Carpates, plus haut sommet d’Ukraine ? Des randonneurs ont-ils atteint le Qurnat as Sawda’, dont les 3088m en font le point culminant du Liban ? Est-ce que dans les zones de ces pays épargnées, par la guerre la randonnée continue d’être une activité ?

Car, de plus en plus, alors que l’on recherche ici l’apaisement, la plénitude, la sensation de vivre en harmonie avec une Terre qui, bien que tourmentée, nous laisse pour quelques heures profiter sereinement de ses attraits, s’insinue un sentiment diffus. De la culpabilité ? Non, ce n’est pas le bon terme. Mais un sentiment de malaise, alors que, à quelques heures de chez nous, des bombes déchiquètent des corps, des profiteurs s’enrichissent, des familles sont séparées, anéanties, des lieux à l’histoire et à la beauté remarquables sont réduits à l’état de cendres.

C’est un peu facile de se poser ces questions qui, par leur nature-même, sont le fruit d’un certain confort. Si aujourd’hui je me les pose, au sommet du Grand Van, c’est parce que je suis matériellement dans des conditions qui me permettent de le faire. Mais néanmoins, naïvement sans doute, depuis ce promontoire confortable, épargné pour un temps encore par l’ignominie d’une espèce dont la disparition semble s’accélérer, voici ce qui m’occupe l’esprit. Je pourrais faire le vide, observer cette épaisse mer de nuages qui a englouti la Chartreuse et laisse seulement quelques crêtes du Vercors s’extirper du coton.

Même en montagne, lieu de liberté par excellence, l’état de ce monde déliquescent nous accompagne, et avec lui les craintes, les incertitudes. Et puis, surtout, l’envie d’en profiter, de savourer ces vues, quelque part entre ciel et terre, avant que quelque puissant décide de les ensanglanter.