Sortie du 29 août 2024 par JM Grande Tête de l’Obiou (2789m), par la voie normale de la Vire de la Cravate
C'est l'histoire d'un gars qui arrive toujours un peu trop tard mais quand même juste à temps, au sommet de la Grand Tête de l'Obiou comme à la sortie de la grande barre rocheuse qu'à été sa propre vie. Histoire de timing, on pouvait sans doute faire mieux, mais les aléas de l'existence sont ce qu'ils sont, et c'est un peu miraculeusement que je me suis retrouvé sur cette "grande tête de bœuf", porté par quelque chose qui est de l'ordre de la rédemption. Je peux dire que je suis entré dans cette montagne comme on entre dans un lieu saint. Et j'en suis sorti en m'inclinant, remis une fois de plus à ma juste place, mais un peu plus droit encore dans mes chaussures. Rassuré sur le fait que j'étais encore bien vivant. Ici et maintenant.
Itinéraire, carte // Fiche topo
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Conditions météo
Départ tout seul vers 7h, sous un soleil matinal déjà taquin, avec l’ombre fraîche du Petit Obiou durant toute l’ascension de la combe puis du couloir. Pas de vent, mais ciel de plus en plus laiteux, les nuages commençant à se faire nombreux à partir du col, Je suis arrivé peu avant que l’horizon ne soit totalement bouché du Nord-Est au Sud-Ouest. Juste à temps, mais déjà un peu trop tard... Retour vers 15h au parking, sous un ciel faussement menaçant.
Récit de la sortie
Qui suis-je, où vais-je ??
Ceci est ma première contribution à ce site et je voudrais préciser que j’ai assez peu d’expérience de la montagne et que j’ai une condition physique qui n’a rien d’exceptionnel. Il faut dire que j’ai bientôt 49 ans et que j’ai réellement découvert la montagne il y a 3 ans à peine. Autant dire : avant-hier. Avant cela, je trainais derrière moi une décennie d’instabilité, de dépression et de dépendance à l’alcool. Malgré quelques sursauts de temps à autre, ce n’était pas brillant. Mens pas très sana, in corpore pas sano du tout.
Tout ça pour dire que je suis loin d’être un "montagnard aguerri", mais je suis motivé par le constat que la montagne m’apporte beaucoup de joie, de paix et d’équilibre. Bref, j’ai abordé cette ascension comme toutes les autres avant elle : avec la fraicheur et la naïveté d’un parfait débutant, La Grande Tête de l’Obiou trottait dans ma petite tête à moi depuis un bon moment, surtout depuis ma montée au Châtel, il y a quelques mois. Châtel qui culmine environ... un kilomètre plus bas ! Elle me faisait rêver, cette Tête, elle faisait briller mes yeux, elle m’intimidait. Il faut dire qu’elle est belle ! Massive et pourtant si élégante... Il fallait que je monte là-haut pour m’imprégner un peu de cette force et de cette puissance. Par contre, après avoir lu et vu les topos, les commentaires et les photos, je n’étais pas vraiment serein quant à mes capacités.
Bon, ben, en route...
J’ai l’impression que le rapport qu’on entretient avec les montagnes est de l’ordre de l’intime. Qu’on y projette nos joies, nos peines, nos angoisses, nos doutes, nos névroses... On dirait qu’elles sont de fabuleux écrans, mais aussi des miroirs cruellement fidèles pour peu qu’on soit attentif au reflet qu’elle nous renvoient. La Grand Tête de l’Obiou semble particulièrement soumise aux lois de l’affectivité et de la subjectivité. D’autant plus que quand on marche seul, sans personne pour guider, pour motiver, pour relativiser ou rassurer s’il faut, on est facilement victime des visions déformantes et des émotions. On se fait vite une montagne de tout.
Randonnée compte double
Pour dire un mot de l’itinéraire, j’ai trouvé qu’il était tracé avec une intelligence presque divine, avec un cheminement parfois improbable à première vue, mais toujours évident car impeccablement balisé. Niveau engagement physique, indéniablement, mieux vaut être en forme. La montée est rude, mais également éprouvante nerveusement (tout comme la descente, d’ailleurs) car il faut rester constamment attentif et concentré. Un effort particulièrement intense est requis du pied de la Combe jusqu’au Col de l’Obiou, puis ensuite dans les dalles qui accèdent à la Vire, Comme me disait un jeune homme au sommet, visiblement habitué des lieux : "C’est sûr que la Grande Tête de l’Obiou, ce n’est pas qu’une randonnée". Je confirme : elle compte pour deux !
« Y a aucune raison de tomber, mais faudrait quand même pas tomber »
Voilà pour l’effort, qui ne doit pas être sous-estimé, mais qu’en est-il du vide ? Dans les topos et les commentaires, il est beaucoup question de ce vide un peu oppressant et omniprésent, et on a vite matière à se faire peur. Honnêtement, j’ai trouvé ça dans l’ensemble moins impressionnant qu’attendu, excepté deux passages. Le premier, c’est le haut du couloir, En effet, c’est impressionnant et un peu oppressant, mais franchement, il ne faut pas se laisser abuser par les effets d’optique et rester bien focus sur la progression, et ça passe. C’est pire à la descente, en revanche, avec le vide en face mais calmement, ça passe bien aussi, sans danger excessif. Le second passage, c’est encore une fois les dalles sous la Vire, quand on change de versant, qui se grimpent (et là, je cite Pascal Sombardier) "au bord d’un gaz impressionnant". La descente, là aussi, impressionne pas mal, j’avoue, et la plus grande attention est nécessaire dans tous les cas.
Sinon, globalement, pour ce qui est de la difficulté technique, je ne suis ma foi pas un expert, mais c’est beaucoup moins compliqué que d’autres sommets que j’ai pu faire, comme les arêtes du Néron ou de Chalves, ou encore l’Arcalod. D’un point de vue technique, je n’ai perçu aucune difficulté. Dans les deux passages mentionnés ci-dessus, il faut bien sûr être plus attentif aux prises de mains et aux appuis, mais on aura compris que cela tient surtout à l’exposition.
Un lieu comme nul autre
Une fois au sommet, mais déjà bien avant, on se laisse pénétrer de la beauté solennelle et superlative du lieu dans lequel on a le privilège de se trouver. Le Dévoluy, dans ses hauteurs, et dans cette partie-là du moins (puisque c’était ma première incursion dans ce massif) ressemble à quelque chose comme une annexe de la Lune ou de la planète Mars. On se sent un instant ailleurs que sur Terre. Chaotique est le premier mot qui m’est venu à l’esprit. Mais ensuite, en regardant d’en haut ces combes, ces pierriers infinis, j’ai pensé à d’immenses puzzles de plusieurs milliers de milliards de pièces. En assemblant tout cela, on doit bien pouvoir reconstituer toutes les montagnes d’avant l’érosion. Il y a sûrement un ordre, une logique. C’est hypnotique, magnifique, inspirant, c’est un paysage qui pourrait évoquer la désolation et la pure austérité, et pourtant, on sent dans cette minéralité radicale une force vive, puissante, tellurique, comme si toute cette vie fossilisée qui a accouché de cette montagne couvait encore à l’intérieur du calcaire. De là-haut, la vue (qui m’a été en partie voilée par les nuages, mais qu’importe) est saisissante. On mesure le travail de la nature, on mesure à quel point on est, à l’échelle de ce travail, pas grand chose. Je ne sais trop comment exprimer tout cela, mais pour moi, la Grande Tête de l’Obiou, fut avant tout une grande expérience sensible et émouvante, bien loin d’une performance sportive ou d’un nouveau sommet à accrocher à mon "tableau de chasse" (qui n’est du reste pas très rempli).
Juste un mot, pour finir, sur la grotte que j’ai visitée à la descente. C’est exceptionnel. Ce mur de glace constante, presque transparente, emprisonnant la roche, et ce ruissellement gelé au sol qui sort comme de nulle part, avec l’odeur envoutante du limon et de pierre humide. Bref. J’y ai trouvé un petit endroit où m’asseoir, et contempler longuement et silencieusement ce spectacle unique. Et c’était bon.
Avec une polaire, encore mieux. Et bien sûr, avec une frontale.
Voilà ce que je pouvais dire de cette sortie que je qualifierai de durablement marquante.
Merci de m’avoir lu.
Photos
Auteur : JM
Avis et commentaires
Bonjour JM, c’est un plaisir de lire ce récit. Mes sorties et souvenirs en montagnes sont souvent riches en émotions mais je ne suis pas capable de les exprimer aussi bien que tu le fais ! Je n’ai jamais gravit l’Obiou, je n’ai fait que l’admirer de loin en passant à proximité. Ton texte et tes photos me convainquent que c’est une montagne qui vaut le détour !
Bonjour JM,
J’ai apprécié le style de ton expression au service des émotions que tu as vécu. Moi aussi, j’ai la montagne "sensitive", si je puis dire... . Chaque sommet pouvant incarner un être imaginaire, le temps de l’ascension. Fabuleux, ce que tu racontes là avec l’Obiou. N’hésite pas à demander conseil pour d’autres sites pourvus également d’une très forte personnalité. Bonnes contrées !
Bonjour JM,
j’abonde à tout ce qui vient d’être écrit, merci pour ce partage en mots et en photos !
Bonjour JM,
Je viens de découvrir ton texte ce matin, puisqu’il est apparu dans les nouvelles parutions de ce jour.
A la première lecture, les larmes pointaient au bord des yeux, tellement ta franchise à expliquer les choses est grande.
Aussi l’émotion a été intense en pénétrant tes descriptions ; à la fois celles des lieux, et celles de tes ressentis.
Le Dévoluy est un massif qui provoque la passion.
Beaucoup ont cherché à écrire ce qu’ils en ressentaient.
Mais tes expressions à toi :
— "une annexe de la Lune"
— "un puzzle de plusieurs milliers de milliards de pièces"
... sont parmi les plus belles que j’ai lues !
Merci de nous avoir fait participer à cette ascension remarquable.
Et à bientôt j’espère pour une nouvelle contribution sur AR.
Grand merci pour ton retour.
Et au passage, je me rends compte que je me suis pris les pieds dans mes propres dates. J’ai découvert la montagne il n’y a pas deux mais trois ans, puisque ma première escapade (en Chartreuse) date de juillet 2021 et non 2022. Ça ne change pas fondamentalement grand chose à l’affaire, mais ça aura son importance (toute relative) pour le récit de ma prochaine sortie. 😉
Grandiose est le qualificatif qui me vient à l’esprit autant pour le texte que pour les photos ! J’adore le Dévoluy, mais là j’en suis resté baba comme on dit parfois. Un seul mot : bravo !!
Merci à vous tous pour votre accueil et vos commentaires, ils me vont droit au cœur.
À bientôt, ici ou ailleurs... 🙂
Très belle sortie et superbes photos.
Merci pour le partage, puisse la montagne t’apporter l’équilibre et le bien être qu’on recherche tous.
Hello JM, quel texte ! Simple, beau, limpide qui transporte, tant d’émotions 😊. Magnifique, un grand merci. Et bravo pour la rando 👏👍. Patrick
Belles photos et un très beau texte ... qui m’aura appris un mot, par ailleurs fort bien illustré, à savoir ’paréidolie’ !
Merci.
Superbe ! Bienvenue JM sur Altituderando ! Un texte émouvant et des photos qui montre cette ambiance si particulière. Merci pour le voyage !
Bienvenue et merci pour cet émouvant récit et ces somptueuses photos.
Pour moi, l’Obiou reste une des mes ascensions les plus mémorable.
Bonne continuation.
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