Sortie du 8 septembre 2023 par François Lannes Cabane de Combe Jargeatte (1870m) par le "Balcon 1900"

........d’être seul, dans une montagne non pas vierge mais un peu abandonnée, ou du moins retournée à son isolement

Itinéraire, carte // Fiche topo

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Conditions météo

Très beau temps, encore chaud pour un début septembre

Récit de la sortie

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Quelle balade !
Quelle magnifique balade que ce « Balcon 1900 » dans le flanc du Taillefer !

Bien sûr je m’attendais à quelque chose au goût un peu fort, voire peut-être même à quelque chose d’assez épicé. Mais, contrairement à cela, franchement, le plat servi fut un vrai régal. Et la cuisine proposée par cette montagne du Taillefer – et par ses occupants d’antan – fut un pur délice.
J’ai bien eu quelques aigreurs, en voyant l’un des mets, là en face, testant cette pitance d’un oculaire de jumelle perplexe. Mais au final le menu complet, avec l’ensemble de ses plats, fut digne des meilleurs et le bonheur d’être venu ici, pour voir, fut des plus accomplis !

C’était l’hiver 2021-2022 lorsque j’ai commencé à étudier de près ce massif du Taillefer.
Du col d’Ornon, de nombreuses possibilités s’ouvraient. Des reconnaissances furent lancées. Une sortie mémorable fut d’ailleurs réalisée au Grain de Chalvet, géographiquement un peu plus au nord.

Mais c’est en utilisant les photographies aériennes du Géoportail que se perçurent ces fins tracés semblant permettre de joindre la cabane de combe Jargeatte avec le sentier de Plancol, trois kilomètres plus au sud. Cette traversée potentielle était surprenante car aucune carte actuelle n’en faisait mention. Pas même celle IGN de 1950, qui n’en parlait pas. Ces fins tracés pouvaient être le résultat des passages répétés de bêtes du secteur. Cela pouvait aussi provenir des Anciens, les bergers ou les chasseurs, qui quadrillaient tous ces reliefs et y avaient laissé leur empreinte, quasiment effacée aujourd’hui.

La curiosité poussait à vérifier tout cela sur place.
La curiosité, oui, mais pas que.

En effet, au cours des années passées, après avoir cherché à déchiffrer les passages secrets dans les falaises du Vercors ; après avoir remonté hors trace les forêts du Beauchêne pour parvenir aux crêtes ; l’envie me vint de rechercher les anciens sentiers, ceux qui ne sont plus beaucoup pratiqués et qui du coup partent à l’abandon, ceux dont les cartes fabriquent l’oubli en ne représentant plus leurs traits au sein des courbes de niveau ; ces chemins que Sylvain Tesson a si bien su magnifier dans son aventure en les qualifiant de « chemins noirs »…

Oui.
Ces chemins des Anciens, ces sentiers à l’abandon sous les branches mortes et les pierres roulées d’en haut, ces passages quasi effacés dans les herbes hautes ou à cause des végétations basses envahissantes, ce sont eux qui m’attirent aujourd’hui. Ce sont eux que je vise, que je piste, à la loupe…
L’idée, l’envie, l’idéal, ce serait d’en faire revivre quelques-uns, parce que l’on aurait parlé d’eux, un peu, à nouveau.

Alors, étudiant de près ces fines traces sur les photographies aériennes, il me sembla trouver là l’un de ces vieux sentiers laissés pour le compte. Un sentier répondant à l’envie évoquée ci-dessus.
Le projet de faire une boucle prit forme, avec comme départ le col d’Ornon, ou plus exactement le stationnement à côté du gué au sud du col, boucle qui monterait à la cote deux mille, traverserait vers le sud, et rentrerait au stationnement par la descente de Plancol.

C’était le 9 septembre 2022.
Ce jour-là, je partis trop tard dans l’après-midi. Et le temps manqua pour faire la boucle complète : je stoppais la randonnée sur ces parterres de végétations souples et magnifiques vers l’altitude de deux mille mètres. J’avais atteint ce que j’appellerai, aujourd’hui un an plus tard, « l’épaulement engazonné ».

8 septembre 2023.
Vendredi midi.
Je gare la voiture à côté du gué.
Il est bien tard, à nouveau. Le programme imaginé devrait largement occuper toute l’après-midi. Il n’y a pas de temps à perdre.
C’est encore chaud en ce début septembre : 24°C. Les pluies ne sont toujours pas revenues. Le terrain est sec. Certaines feuilles aux arbres tendent vers le marron, signe que la sève ne leur parvient plus : c’est une couleur non de l’automne, mais de la sécheresse.

Le début de la piste charretière est bien raide, et mon manque d’entraînement se fait sentir – cela fait deux mois que je n’ai rien fait – les foulées doivent être raccourcies au maximum. Au bout d’une demi-heure et d’une centaine de mètres de dénivelée, j’ai failli louper la bifurcation vers la gauche, qui s’en va à Plancol. Heureusement un arrêt respiration, fort à propos, fait lever les yeux et remarquer ce départ !
Mais à peine un quart d’heure plus tard, je n’en peux déjà plus.
Je décide d’investir dans un moment de repos et d’alimentation, même si le fameux programme doit en souffrir et être raccourci quelque peu, forcement. Décision incontournable, mais sage …

A environ 1785 mètres, dans une épingle à cheveux, commence la sente des chasseurs qui va à droite en direction de la combe du Buo. C’est elle qu’il faut prendre. Elle est assez commode, parfois un peu tout-terrain, mais très lisible et sans questionnement. On traverse une forêt de taille moyenne – jusqu’à 3 mètres de haut - plutôt dense qui empêcherait toute tentative hors-piste.
En peu de temps cette sente fait déboucher dans l’espace ouvert de la combe.
Il y a ici une vaste étendue d’herbe rase, de petits végétaux rampants et de très rares arbustes. Tout incite à penser que les printemps sont l’objet de grosses avalanches, partant de la crête 450 mètres plus haut, et que tout arbre ayant des velléités de grandir ici est arraché ; ce depuis de nombreuses années.

Par contre, pour le randonneur, cet espace est facile à marcher, presque accueillant, en tout cas hors saison de neige…
Au sortir de la forêt, je construis un cairn, anticipant l’éventuelle difficulté, au retour, à retrouver le bon point d’entrée de la sente dans les taillis. Cette précaution s’avèrera en fait inutile car une assez large encoche au sol – presque surprenante – permet de ne pas se perdre dans ce « champ du Buo ». Il sera donc facile de reprendre le bon passage vers Plancol en fin de journée.
Un second cairn sera édifié deux cents mètres plus loin, à l’endroit où l’on doit obliquer droit dans la pente, toujours en pensant au retour, car l’on devra, là, passer de la ligne droit-vers-le-bas, à une ligne horizontale-vers-la-droite, c’est-à-dire à faire un angle de 90°. Ce genre de changement de cap n’est pas toujours facile à détecter et il vaut mieux avoir un repère.

La suite se voit à l’œil nu. La sente, presque un sentier, file horizontalement vers la droite, dans une zone bien herbeuse. L’étude préalable sur IGN avait permis de conclure qu’il fallait rejoindre un gros pierrier, tout au bord de la rive gauche de la combe. C’est ce que je fais, facilement. La seule retenue est, qu’ici, la trace n’existe plus, sur une centaine de mètres. Mais fort des conclusions tirées au bureau, je file vers le pierrier, à son point de moindre largeur et retrouve rapidement quelques indices de passages.
Franchissant une vague arête rocheuse, la trace redevient correcte et la suite se fait en toute tranquillité.

C’est alors l’arrivée sur l’axe du premier éperon.
De suite je repère l’abri de pierres sèche construit ici, par les chasseurs probablement. Appuyé contre une grosse dalle plantée verticalement, un talus de pierres moyennes forme arc-de-cercle délimitant la zone de confort centrale. Cette zone centrale est aujourd’hui envahie de rhododendrons et d’un genévrier, signe que la dernière utilisation de ce refuge remonte à quelques années au moins. Depuis quand quelqu’un n’est plus passé ici ??? Je ne sais le dire, mais un sentiment d’être le premier à revenir en ces lieux, depuis longtemps, me prend.
Cette situation me grise un peu.

La solitude…
Cette sensation particulière d’être seul, dans une montagne non pas vierge mais un peu abandonnée, ou du moins retournée à son isolement ; cette sensation m’enchante et me pousse en avant, vers les limites d’un possible, un possible qu’il faut définir correctement ; un possible dont le risque est une composante intrinsèque dans ces balades en solitaire, un risque pas tout à fait nul, mais choisi raisonnable quand même.
Voilà : la montagne, c’est ça pour moi, maintenant…

Accaparé par l’observation de cet abri, je n’avais pas encore regardé la suite du parcours.
Ce fut le choc !
Là, devant, il y a la combe « Entre-deux », la gouttière d’un ruisseau la sciant en deux sur toute sa hauteur. A droite : des pelouses d’un vert charnu, bien vivant. En haut, dans la pente, de gros blocs de gneiss, râpés par les intempéries.
Et en face, droit devant, il y a l’éperon Rocheux 2063 !
Massif, compact, ses falaises sont rudes et donnent une impression vraiment alpine à ces lieux. Le bloc des falaises est continu et paraît bloquer toute suite à cette traversée. Rien ne permet de détecter comment franchir cet obstacle ! Une forêt de pins, disséminée sur ses roches, s’accroche et le gravit jusqu’à son faîte.

D’un coup d’un seul, l’ambiance a changé du tout au tout. Et de gentillette que la balade avait été jusque-là, elle devient maintenant sérieuse. Je reste campé sur mes jambes, face à ce spectacle magnifique. Et regarde, examine cela, profite…
Je m’assoie quand même, prends les jumelles pour rentrer dans les détails.
Car tout n’a effectivement pas l’air simple…

L’éperon Rocheux 2063 descend très bas, et son socle est constitué par un prolongement de dalles fort inclinées. Aucun passage naturel ne se devine au travers de ces dalles. Comment faire alors pour le contourner ? Reprenant les notes faites à la maison, et les altitudes inscrites sur le papier, la conclusion est qu’il faut perdre un peu d’altitude – 40 mètres environ – et que la solution doive se trouver là en-dessous, dans cette forêt de pins.
Peut-être ??

Lâchant les jumelles pour voir et revoir en direct cette combe et son éperon, laissant le temps à l’esprit de s’habituer à cette nouvelle ambiance, comprenant de mieux en mieux où et comment devrait se trouver le dénouement de cette suite, je sens le plaisir d’être ici qui arrive au creux du ventre, le plaisir qui monte progressivement vers la tête ; et qui se place alors sur la bouche, en un sourire arrondi ; et dans les yeux, en un plissement complice…

Il y a presque 14 ans, sur la proposition amicale de Pascal Sombardier, j’écrivais un texte relatant les heures exaltantes vécues sur la grande vire du Pierroux. La finale de ce texte expliquait :
« Alors, comme après une grande course de haute montagne, le plaisir commencera à naître au fond de vous, par l’effet des souvenirs qui prennent leur place, petit à petit, dans la mémoire. Le cœur se gonflera d’avoir vécu une telle perfection ».

Ici, aujourd’hui, face à cette combe « Entre-deux », dominée par l’éperon Rocheux 2063, le plaisir n’a pas à attendre que les souvenirs se mettent en place dans la mémoire. Le plaisir est là ! Tout de suite ! Fort…
Il passe directement des yeux au cœur, intensément, laissant à la mémoire le soin de faire son office, mais plus tard.
Ces premières minutes de découverte de cette montagne, qui n’est pas de la haute montagne certes, sont d’une perfection rarement atteinte. Je le comprends…

Que dire après cela ??

Effectivement le contournement se faisait bien en perdant un peu d’altitude. Mais aucune difficulté n’apparut, si ce n’est que quelques branches de pins étaient un peu basses et qu’il fallait se baisser pour les éviter.

Sur l’axe de l’éperon Rocheux 2063 se trouvait un autre abri de chasseur, ou bien de berger celui-là. Six poteaux d’une ancienne clôture étaient encore là, avachis sous les efforts d’une neige d’hiver – maintenant fondue bien sûr – et sans plus aucun fil de clôture.

L’arrivée dans la combe de la Pisse fut calme : cette combe est un grand arrondi, strié de trois ravins de ruisseaux, peu profonds. La surprise a été de trouver de l’eau dans le troisième lit. Elle coulait tout à fait suffisamment, de quoi remplir un litre en deux ou trois minutes, d’une eau au goût excellent. Pour un 8 septembre, faisant suite à une longue période de sécheresse d’été, le fait est remarquable. Il faudra le confirmer.

Au bout de la combe de la Pisse, côté nord, je retrouvais sans difficulté l’épaulement engazonné foulé il y a un-an-moins-un-jour. Cet endroit est paradisiaque et inciterait au bivouac si je pratiquais encore la chose…

La montre a tourné.
Le temps nécessaire à faire l’aller-retour jusqu’à la cabane de la combe Jargeatte n’est pas disponible, et si je veux tenir l’engagement d’horaire à Seyssinet il faut faire demi-tour maintenant. D’autant que le temps de retour sur ce « Balcon 1900 » n’est pas garanti lui non plus : un quart d’heure peut vite être perdu si l’on se trompe dans le cheminement.
Bref : c’est fini pour aujourd’hui.
Je rentre !

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Randonnée réalisée le 8 septembre 2023

Dernière modification : 21 septembre 2023

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