Le retour des grands prédateurs en montagne, quels risques et quelles opportunités ?
Depuis une trentaine d’années, les grands prédateurs européens font leur retour dans nos massifs montagneux.
Le loup d’Italie repeuple les Alpes, le centre et l’ouest de la France et va jusqu’aux Pyrénées orientales.
Le Lynx est implanté dans le Jura, repeuple les Alpes, surtout au nord et on en voit parfois dans le massif central.
La population d’ours des Pyrénées a été renforcée par des lâchers et s’accroit.
Les randonneurs sont donc confrontés au retour de ces animaux.
Sont-ils dangereux ?
Comment reconnaître les traces de leur passage ?
Introduction
Le 5 novembre 1992, deux loups sont observés dans le vallon de Mollières, au centre du Parc national du Mercantour. Leur présence est cachée par les autorités qui craignent, comme toujours, les inquiétudes de la population locale, et surtout celle des bergers.
Les ornières de l’homme n’empêchent pas le Canis lupus de faire son retour en France. Provenant du centre de l’Italie, il investit successivement les alpes italiennes, puis françaises, et traverse le Rhône pour s’établir dans les Pyrénées orientales, puis continue sa conquête du territoire national.
Dans le même temps, l’ours des Pyrénées, en voie d’extinction, a vu sa population renforcée par 8 individus provenant de Slovénie conformément aux engagements internationaux de la France.
Le lynx fait également son retour dans les années 70, grâce aux Suisses qui l’ont réintroduit dans leur Jura. Ne craignant rien de la fiscalité française, celui-ci passe la frontière et recolonise le versant occidental du massif puis les Alpes. Certains individus sont repérés dans le nord du massif central.
Aussi les adeptes de la randonnée sont-ils maintenant confrontés au retour de ces grands prédateurs. Faut-il les craindre ou au contraire apprendre à les connaître, à savoir observer les indices de leur passage ?
1 - Loups, lynx, ours : Combien sont-ils en France ?
Après avoir subi de longues périodes de chasse et de persécution, ces animaux sont à présent protégés par des textes internationaux. Leur retour est maintenant établi.
Les recensements, plus ou moins faciles à réaliser, faisaient état en 2011 de 200 à 250 loups en France, ils sont maintenant environ 1000, principalement dans les Alpes du sud. La population de lynx est en diminution de puis dix ans. Présents dans le Jura, les Vosges et le nord des Alpes, cet animal solitaire et pacifique reste en dessous des 200 individus en France et peine à assurer sa pérennité. L’ours brun est passé d’une vingtaine d’individus en 2012 à 80 aujourd’hui en 2022 dans les Pyrénées.
Note : certaines taches représentent des indices de présence : relevé de traces, de crottes, de poils, mais ne constituent pas une preuve de l’établissement permanent de l’animal. Pour le lynx, les zones sombres sont les zones de peuplements, les taches plus claires sont les présomptions de passage de l’animal.
Zones à ours -source ONCFS-
2- Sont-ils dangereux ?
Si notre inconscient collectif fourmille de légendes où les enfants sont dévorés par des monstres sanguinaires, la réalité est heureusement bien différente.
Ces trois animaux sont extrêmement rares, et les croiser au hasard d’une randonnée reste une chance exceptionnelle. Mais il faut garder à l’esprit que ce sont des animaux sauvages et des prédateurs.
Il n’y a à ce jour en France aucune agression démontrée de randonneur en montagne, pour aucune des 3 espèces. Inversement il y a des centaines d’attaques de chiens, parfois graves. Cependant à l’étranger, en Russie, notamment, des attaques mortelles de loup ont été constatées, et l’ours représente un danger en rapport avec sa masse et sa force.
L’ours brun, est un animal puissant qui n’a pas particulièrement peur de l’homme en cas de confrontation. Bien qu’il soit placide, il pourrait se montrer dangereux s’il se voit contraint. C’est à mon avis le seul des trois prédateurs dont il faut se méfier - si jamais l’on a la chance de l’apercevoir, car c’est une expérience bien rare -. Dans ce cas, le respect s’impose, il conviendra de rester à distance ou de reculer lentement si on l’a surpris. La prudence reste toujours de mise en présence d’une femelle et de ses oursons. L’ours brun est une boule d’énergie, il faut voir ce que donne un ours de 60 kg qui se débat dans le piège d’un filet, c’est sidérant ! Je n’imagine pas la scène avec un gros mâle de 250 kg... Dans les cas observés, en Amériques ou en Europe de l’est, où l’ours s’est montré agressif, les conséquences ont pu être dramatiques. Si vous êtes confrontés à un ours de ce genre, inutile de courir affolé et de grimper aux arbres, le plantigrade fait tout ça bien mieux que vous. Couchez-vous et attendez que cela passe... mais ne fantasmez pas trop ; si vous avez la chance de l’apercevoir quelques secondes dans votre carrière de randonneur, ce sera déjà une belle expérience.
Très peu ont en effet la chance de se voir un jour confrontés à cette boule de muscle qui sous ses airs patauds peut se montrer colérique.
Le loup italien qui repeuple notre territoire pèse de 30 à 40 kg. S’il peut être potentiellement dangereux, d’autant qu’il évolue en meute de 4/5 individus, le loup en bonne santé n’est pas sensé attaquer l’homme. Cependant des accidents et une attaque mortelle ont été recensés en Amérique à proximité d’une décharge où les loups pouvaient côtoyer des humains. En Russie également les loups ont tué des humains. Certains individus osent donc s’en prendre à l’homme dans certaines conditions.
L’Homo sapiens sapiens, ne fait à priori pas partie du répertoire de chasse du Canis lupus et bien que celui-ci soit bien présent en Europe, on ne dénombre que peu d’actes malveillants de sa part... A part bien sûr sur les troupeaux qu’il considère clairement comme du gibier. Le loup reste un grand prédateur puissamment armé et dont les réactions sont celles d’un animal sauvage... à respecter en tant que tel. Un loup malade de la rage, comme tout animal, peut se montrer menaçant et dangereux.
Le lynx boréal que l’on peut éventuellement rencontrer dans les Alpes, les Vosges, et surtout dans le Jura, est un félin de 20 à 25 kg maximum. C’est un animal pacifique qui n’est pas dangereux même si, encore une fois, il a des qualités de prédateur impressionnantes en étant capable de tuer des proies plus grosses que lui. Lui aussi reste un carnassier sauvage à respecter.
3- Réapprenons à les connaître
La nuit tous les prédateurs sont gris, alors procédons à un petit contrôle d’identité...
- Nom : ours brun (Ursus arctos)
- Famille : ursidés
- Taille : de 1,70 m à 2,20 m debout et entre 0,80 m et 1,10 m au garrot (à l’épaule)
- Poids : 65 à 250 kg
- Régime alimentaire : 70% herbivore, 30% carnivores (petits vertébrés, sangliers, brebis)
- Signe particulier : solitaire ; aucun signe de jalousie vis à vis du conjoint ; hivernation pendant la saison froide.
- Nom : loup (Canis lupus)
- Famille : canidés
- Taille : de 0,60 à 0,80 m
- Poids : 18 à 40 kg
- Régime alimentaire : carnivore : ongulés sauvages et domestiques (mouflons, chamois, chevreuils, bouquetins, brebis)
- Signe particulier : vit en meute, structure sociale hiérarchisée de 3 à 6 individus, fondée par un couple dominant.
- Nom : Lynx boréal ou Loup cervier (Lynx lynx)
- Famille : félidés
- Taille : 0,50 à 0,75 m
- Poids : 17 à 25 kg
- Régime alimentaire : carnivore : ongulés sauvages et domestiques, petits mammifères.
- Signe particulier : solitaire sur un grand territoire. Une petite queue caractéristique de 15 à 25 cm.
L’ours des Pyrénées peut se rencontrer en fond de vallée à moins de 600 mètres d’altitude et en montagne au-delà des 2000 mètres. C’est en forêt que l’on a le plus de chance de le voir. Il a besoin d’un environnement calme et d’un écosystème en bon état. C’est certainement le meilleur garant pour des Pyrénées sauvages et authentiques. L’hiver, l’ours n’hiberne pas mais il hiverne, c’est à dire qu’il peut sortir de sa somnolence et de sa tanière pour faire une petite balade, voir une petite chasse car c’est dans les périodes de fort enneigement qu’il arrive à capturer des sangliers bloqués par la neige.
Le loup n’est pas un montagnard de nature, mais c’est en montagne qu’il trouve refuge à l’abri des populations humaines pour parcourir ses territoires de chasse et élever ses petits. La nuit, il sort aisément du couvert pour trouver sa pitance. C’est un aventurier qui peut parcourir de grandes distances en 24h.
Le lynx aime la forêt. Résineux ou feuillus, tout lui va bien pourvu qu’il ait de vastes étendues boisées pour chasser. On l’apercevra davantage en lisière, dans les éboulis ou les barres rocheuses dans lesquelles il aime se prélasser et capter la chaleur du rocher caressé par le soleil.
4 - Les amours
Au printemps, Monsieur ours cherche une femelle et peut être désagréable en cas de concurrence avec un de ses camarades. Lorsqu’il a trouvé sa dulcinée, il reste avec elle plusieurs semaines pendant lesquelles il est fou amoureux. Mais à la suite de l’accouplement il retourne dans son quartier vivre sa vie pépère. Du coup, il n’est pas rare que madame en profite pour côtoyer d’autres Martins qui seraient prêts à lui renouveler de la considération. Je ne vous dis pas le travail pour le suivi de la paternité... Au plus froid de l’hiver, maman ours accouche dans sa tanière, au cœur de la forêt. Les oursons restent avec la femelle pendant 2 ans, puis ils partent en mobylette ou en raquettes à neige explorer les autres versants de la montagne.
Chez les loups, l’ambiance est plus tendue lors du rut qui commence en janvier. Dans la meute, seul le couple dominant a le droit de s’accoupler, les autres en sont pour leur frustration et tiennent la chandelle sous peine de prendre quelques coups de crocs acérés. C’est au printemps que les louveteaux (de 4 à 7) sortent en titubant de la tanière. Tous les membres de la meute vont participer à leur protection et à leur éducation.
Monsieur lynx laisse de subtils messages chimiques sur les troncs d’arbres et organise un gentil jeu de piste pour que la femelle, qui a son propre territoire, le retrouve pour une folle épopée jusqu’à l’accouplement. Les petits mignons (1 à 4) naissent fin mai-début juin et quittent maman juste avant leur premier anniversaire que la moitié d’entre eux n’atteindra pas, la mortalité infantile de cette espèce étant particulièrement élevée.
5- Indices de présence
Si on a peu de chance de les voir, car ils sont très méfiants et évoluent le plus souvent de nuit ou aux heures pâles de la journée, marcher en montagne peut donner l’occasion de repérer la présence de ces grands animaux par des indices. Devant sans cesse refaire les limites de leurs territoires de chasse, ils nous laissent gracieusement des indices de leur passage et de leur marquage : traces, crottes, poils et carcasses.
Attention ; un minimum de pratique est nécessaire pour les identifier. Voici donc quelques indications pour mieux les reconnaître.
La meilleure saison est de loin l’hiver pour repérer des traces dans la neige, des taches de sang bien visibles peuvent vous amener à une carcasse. Les crottes se repèrent également plus facilement.
OURS : empreinte et poils
L’empreinte de l’ours est caractéristique. En voir une nettement marquée est un vrai bonheur. Le pied (patte arrière) mesure 15 à 38 cm de long et 8 à 18 cm de large ; la main (patte avant) est moins longue mais plus large. Les pieds et les mains possèdent 5 doigts chacun. Chaque doigt se termine par une longue et forte griffe, non rétractile, qui mesure 5 à 7 cm à l’avant et 3 à 5 cm à l’arrière
L’ours laisse ses poils sur les troncs d’arbres sur lesquels il se frotte pour marquer sa présence et aussi se détendre. Les obstacles naturels comme le fil barbelé sont aussi des pièges à poils observés pour détecter la présence du plantigrade. Les agents de l’ONCFS placent des pièges à poils sur les troncs d’arbres afin de recueillir les poils d’ours qui seront analysés en laboratoire. L’ours étant rare dans les Pyrénées, prenez les poils en photo mais laissez-les sur place pour que l’ONCFS puisse les trouver et les analyser.
LOUP : crotte et empreinte
Les crottes de loup ressemblent à celles d’un gros chien. On les trouve souvent dans les chemins, les sentes, à des carrefours car elles tiennent lieu de marque pour le territoire de l’animal en complément de l’urine laissée sur les arbres ou les édifices naturels. Elles intègrent souvent des poils non digérés de proies consommées par le loup. On y trouvera également fréquemment des dents ou des fragments d’os, ce qui les différencie à coup presque sûr de celles d’un chien. Sur les secteurs de forte présence du loup, comme les Alpes du sud, il est relativement fréquent d’en trouver si l’on a l’œil, de même pour les traces lorsque la neige recouvre les sentiers.
L’empreinte de loup est difficile à différencier de celle d’un chien. À taille d’animal égale elle est peut-être un peu plus large. Environ 8 à 10 cm de large et de long.
En hiver dans la neige, il n’est pas rare de voir des traces de renards qui suivent celles des loups pour grappiller des restes sur les carcasses des grands prédateurs.
Le loup, contrairement au chien, laisse des traces rectilignes, bien alignées, en ramenant ses pattes sous son poitrail. On peut aussi mesurer l’espace entre deux pas pour s’assurer d’un passage de loup, entre 60 et 70 cm entre deux pas.
(photo : ONCFS).
LYNX : empreintes et poils
L’empreinte de lynx est deux ou trois fois plus grosse que celle du chat domestique dont il est le grand cousin. Environ 6 à 7 cm de diamètre.
Les griffes rétractiles ne sont pas apparentes.
Le lynx qui doit marquer un très grand territoire profite des débardages de billes de bois pour y laisser des phéromones, une empreinte chimique, par un frottis des glandes jugales. Il laisse donc un indice de sa présence par les poils de ses joues. Les agents du réseau lynx sont très intéressés par ces indices qui servent à analyser le code génétique de l’animal et à répertorier la population locale de lynx. Aussi, si vous en trouvez, observez les, ne les touchez pas mais prenez les en photos avec un repère d’échelle, pour éventuellement en informer l’ONCFS.
6 - Un enjeu pour la montagne
L’interaction de ces animaux avec les activités pastorales a donné du fil à retordre aux éleveurs, à l’administration et aux contribuables ; ces derniers étant d’ailleurs, pour la plupart, totalement inconscients de ce que leur coûte l’élevage ovin national.
Tous comptes faits, les randonneurs et amoureux des espaces montagnards sont également des apporteurs de richesses. Ils pourraient légitimement avoir, eux aussi, leur mot à dire sur leur vision des espaces de montagne. Ceux-ci ne sont pas réservés aux bergers et aux activités pastorales devant lesquelles les randonneurs seraient invités à marcher sur la pointe des pieds. Le loup, le lynx, et l’ours apportent avec eux la réflexion d’une redistribution des cartes de l’espace naturel. Je pense que les grands prédateurs et l’ours en particulier dans les Pyrénées, sont les garants d’une montagne respectueuse de l’environnement, où l’activité humaine mécanisée restera réduite et où la folie des équipements de plaisance (routes et hôtels d’altitude, remontées mécaniques, survols aériens...) sera mise en bride pour la protection de la tranquillité de l’ours... et celle de la montagne. Ainsi, la survie du placide plantigrade, qui n’est pas censé justifier son existence, même à l’époque de la carte à puce et de la population mondiale exponentielle, semble-t-elle directement liée à celle d’une montagne sauvage, encore capable de ressourcer nos pauvres sens bien ensevelis dans leur densité matérielle.
Les grands carnivores sont des baromètres de la santé de l’environnement. Ils ont, de plus, le rôle important d’assainissement et de régulation des ongulés (qui pullulent dans certaines régions) et qui génèrent des frais importants pour la collectivité (impact sur les récoltes et les plantations, accidents de la route dus aux sangliers notamment).
Si vous souhaitez en savoir plus sur le retour en France des grands prédateurs, participer au suivi des meutes de loup, des lynx et des ours dans les massifs que vous parcourez, il existe de nombreux organismes comme l’association Ferus qui dispensent des données scientifiques et qui organisent des actions pour mieux comprendre l’impact et l’intérêt de ces grands carnivores sur notre territoire. Certaines actions bénévoles sont aussi proposées pour aider les bergers en alpage qui doivent faire face aux attaques et qui sont en train de s’équiper pour protéger leurs troupeaux de la prédation, comme en Espagne où il y a plusieurs milliers de loups qui n’empêchent pas un élevage ovin de plus de 20 millions de moutons !...
L’ONCFS : office national de la chasse et de la faune sauvage a également des correspondants qui sont chargés de recueillir des informations sur les populations présentes dans nos massifs.
Auteur : Paul Régnier