Le mal aigu des montagnes (ou MAM) - explications et comment l’éviter
Toute personne fréquentant la montagne peut être un jour confronté au mal aigu des montagnes (MAM). Méconnaître ou ignorer ses symptômes peut conduire à l’accident (tenir en équilibre sur l’arête des Bosses quand on est pris de vertiges - j’ai testé : ce n’est pas simple) ou à des complications potentiellement mortelles en l’absence rapide de soins (j’ai nommé les OPHA/OCHA, œdèmes pulmonaires et cérébraux de haute altitude).
Quelques chiffres pour fixer les idées :
Au sommet du Mont Blanc, la pression partielle d’oxygène dans l’air ambiant a chuté de 46 % par rapport à La Baule, au sommet du Buet c’est déjà -30 % ; on ne va donc pas en montagne pour s’oxygéner...
70 % des prétendants au Mont Blanc présentent des symptômes de MAM : Dès 1000m, les effets de l’altitude sur la performance maximale sont perceptibles (30 % de VO² max en moins à 4800m).
J’ai vu des MAM stade 2 à 3000m : le MAM n’est donc pas réservé aux alpinistes ou aux trekkeurs andins et himalayens (on m’a signalé le cas d’un randonneur qui systématiquement vomissait à 2500m, sujet d’amusement pour ses compagnons qui n’avaient plus besoin d’altimètre).
Description
La pression décroissant avec l’altitude, à volume égal il y a moins de molécules d’oxygène disponibles. Le corps va essayer d’y remédier en respirant plus rapidement, en augmentant la fréquence cardiaque et la fabrication de globules rouges, c’est la phase d’acclimatation.
Le mal aigu des montagnes est le signe d’une acclimatation incomplète à l’altitude, les facteurs déterminants sont :
- la vitesse d’ascension
- l’altitude atteinte
- la durée du séjour
- la susceptibilité individuelle
Nous allons donc étudier le développement du MAM à l’aide d’exemples vécus :
Vous montez en téléphérique de Chamonix à l’aiguille du Midi (3800m) : vous prenez 2800m de dénivelé en quelques minutes. Y séjourner 3h, hormis un léger essoufflement dans les escaliers (la perte de VO² max !) tout va bien. En fait, vous bénéficiez généralement d’un délai variable de 4h à 8h - appelé période blanche - durant lequel vous ne ressentez rien au repos.
Cédant à l’appel des cimes, vous montez au Mont Blanc du Tacul (4200m) depuis le téléphérique. A la montée, tout va bien (période blanche). Dans la descente, une fille du groupe commence à être nauséeuse. Cela s’aggrave sur le plateau du Midi : vomissements, vertiges. Pour guérir, il y a urgence à perdre de l’altitude. Si vous voulez passer devant tout le monde et descendre très vite, prenez un MAM avec vous ! Elle vomissait encore sur le parking 1h après...
Cette même personne avait prévu le Mont Blanc la semaine suivante. Elle y est arrivée sans encombre et sans MAM grâce à un programme en paliers sur 4 jours.
"Monter lentement et passer du temps en altitude sont les clefs d’une acclimatation réussie"
Le MAM n’est donc pas une fatalité génétique. Monter lentement et passer du temps en altitude sont les clefs d’une acclimatation réussie. Il faut au minimum 24h pour que le corps mette en place des mécanismes adaptatifs : principalement une ventilation et une fréquence cardiaque plus rapides. L’augmentation du nombre de globules rouges ne se fera pas avant 8 jours.
Ce tableau de l’IFREMONT résume assez bien les différents signes cliniques du MAM :
Stade de gravité du MAM | Que faire ? | Signes accessoires |
Stade 1 Maux de tête calmés par les antalgiques courants (paracétamol, aspirine) |
Respectez les paliers ! (ne pas dépasser 400m entre deux nuits consécutives au-dessus de 3000m) |
Maux de tête +++ Insomnie ++ Troubles digestifs + Essoufflement Manque d’appétit Urines peu abondantes Bâillements Somnolence diurne Désorientation Vertiges Stress Irritabilité Dépression |
Stade 2 Maux de tête résistants aux antalgiques courants + signes digestifs +/-signes accessoires. |
Reposez-vous un jour ou deux à la même altitude. Antalgiques traditionnels Hydratation +++ |
|
Stade 3 Difficultés respiratoire au repos ou/et troubles neurologiques (les troubles de l’équilibre sont les premiers signes à apparaître) |
Oxygène Descente ++ Caisson acétazolamide |
Il est en revanche très important de préciser qu’il n’y a pas de chronologie obligatoire dans l’apparition des symptômes. Je suis personnellement passé du stade 1 à 4600m (mal de tête léger) au stade 3 à 4800m (vertiges invalidants, ataxie) sans connaître aucun autre symptôme décrit ci-dessus. Un ami a fait un OPHA (œdème pulmonaire de haute altitude) lors d’une tentative au Mera Peak (6476m) alors qu’il semblait parfaitement acclimaté (il est arrivé la même chose à un adolescent dans un refuge à 2500m).
Les complications.
La plus sournoise est l’OPHA (œdème pulmonaire de haute altitude) qui survient souvent en fin de nuit, généralement 3 ou 4 jours après l’arrivée en altitude. Cela commence par une toux sèche qu’on attribue à autre chose : air sec, broncho-rhino, etc. Ensuite, les bronches sont encombrées (genre bronchite). Quand on commence à cracher une mousse rosée, il faut vraiment se faire du souci. En fait, on se noie de l’intérieur (le sang traverse les alvéoles pulmonaires). Dans les alpes, on appelle les secours et on perd de l’altitude si on peut (on a en effet rarement de l’oxygène, un caisson ou une piqûre de Dexaméthasone sous la main).
Une expédition qui se respecte possède ce qu’il faut. Sur un trekking, il est préférable de se renseigner à l’avance.
L’ami victime d’OPHA a du compter sur l’assistance médicale - caisson hyperbare, oxygène, d’une expédition étrangère (les autres clients lui en voulait à mort d’avoir raté leur sommet...). L’œdème pulmonaire peut survenir très rapidement. On a retrouvé des personnes mortes dans leur tente au matin, alors que la veille tout allait bien (ne pas dormir seul est une bonne précaution).
"L’OCHA (œdème cérébral de haute altitude) touchant le cerveau, a des répercussions sur le comportement (vertiges, vomissements, mal de tête, attitude « bizarre »)"
L’OCHA (œdème cérébral de haute altitude) touchant le cerveau, a des répercussions sur le comportement (vertiges, vomissements, mal de tête, attitude « bizarre »). En altitude, il faut y penser devant toute attitude sortant de l’ordinaire (qui peut vite conduire à l’accident par chute ou décision inappropriée). Le traitement sera le même que l’OPHA.
Des œdèmes localisés peuvent aussi apparaître (chevilles, mains, face). Les femmes y sont plus sensibles que les hommes.
Comment éviter le MAM (mal aigu des montagnes) ?
La règle la plus importante est de ne pas monter trop vite trop haut.
Dans l’idéal, au-dessus de 3000m, il ne faut pas dépasser 400 mètres de dénivelé entre 2 nuits consécutives (Nuit 1 à 3200m, col à 3900m. Nuit 2 à 3600m, sommet à 4500m. Nuit 3 à 4000m par exemple).
La forme physique n’influe pas sur la vitesse d’acclimatation. Dans le cadre d’une étude médicale, un guide a déclenché un OPHA en passant de 0 à 4500m en 2 jours.
"La règle la plus importante est de ne pas monter trop vite trop haut."
Les facteurs individuels sont également à prendre en compte : il est admis que le stress, le froid, la fatigue sont des facteurs aggravants. Pour ma part, le MAM vient toujours après un effort violent en altitude (faire la trace, ou plus bête : faire un chrono...).
Les personnes qui n’adaptent pas spontanément leur ventilation (sensibilité innée des récepteurs carotidiens à la baisse de pression partielle d’O²) sont plus sensibles au MAM. Une hyper ventilation volontaire peut être une solution tant préventive que curative.
Être jeune (moins de 36 ans) serait un facteur aggravant. Les « vieux » seraient-ils plus sages, ou tout simplement plus « diesel » ?
Une bonne hydratation est primordiale en phase d’acclimatation.
Si l’on n’est pas acclimaté, évitez l’alcool, les myorelaxants et les somnifères qui ont un effet dépresseur sur la ventilation et potentialisent donc les effets du MAM.
Si vous envisagez une expédition longue et coûteuse, sachez qu’il existe des consultations de médecine d’altitude qui testent votre réaction à l’hypoxie.
"Une bonne hydratation est primordiale en phase d’acclimatation."
Les comportements individuels sont bien évidemment de grands pourvoyeurs de MAM. La mode étant à la vitesse et l’accumulation, qui prend le temps de s’acclimater au Mont Blanc ? Qui n’est pas tenté par un temps à la Rebuffat ou un chrono à la Kilian Jornet ? Durée du congé, météo, coût de l’expédition peuvent aussi inciter à monter plus vite que de raison.
Un phénomène pernicieux est de plus en plus courant : la béquille chimique. Il existe en effet un principe actif (la molécule d’acétazolamide – nom commercial Diamox) sous forme de pilules, qui combat (ou masque) souvent avec succès les effets du MAM. (Au départ, le Diamox traite le glaucome.) S’il est prudent d’en avoir dans sa pharmacie au cas où, l’usage préventif peut poser un problème éthique. Il est en effet concevable d’en user si l’on a des antécédents de MAM sévère, et si l’on arrive en avion directement à La Paz (4061 m). En revanche, en prendre en préventif pour réussir son Mont Blanc ou même un « petit 4000 » relève à mon sens, du dopage. Je connais plus d’un alpiniste qui en use en toute discrétion (en mélange avec du Stilnox pour mieux dormir...) ce qui peut d’ailleurs provoquer un MAM chez leur compagnon de cordée qui n’arrive pas à suivre le rythme.
En curatif, il peut également provoquer des comportements irresponsables (comme continuer à monter quand même) sans parler des effets indésirables (déshydratation ; fourmillement des extrémités et de la face ; chute du taux de potassium qui oblige à une supplémentation ; goût salé aux boissons gazeuses ; sensibilité accrue aux gelures selon certains).
Un autre médicament a aussi montré son efficacité : le Viagra (les effets secondaires ne sont pas le mêmes !).
Des traitements alternatifs plus naturels ont une efficacité très discutée (Coca 7CH en granules ou Ginkgo en phytothérapie). Le Ginkgo en teinture mère a eu des effets miraculeux sur mes vertiges à 4800m et sur les troubles digestifs d’un ami à 4000m.
Attitude à tenir lors d’une ascension
S’assurer que chacun sait reconnaître les symptômes du MAM. On attribue souvent les signes de MAM à autre chose : mal de tête = soleil ; vertiges = bouchon de cire ; nausées = nourriture ; attitude bizarre = « mec louche », ce qui peut être effectivement le cas mais pas toujours.
- Être attentif aux autres.
- Questionner sur la prise de Diamox en préventif.
- Boire beaucoup (urines claires)
- Personne n’est immunisé (des mineurs péruviens travaillant à 5000m ont fait des OPHA au retour de leurs vacances en bord de mer).
- Rester humble et écouter son corps.
- Ne pas cacher ses symptômes en espérant que ça passera tout seul.
- L’acclimatation est une question de temps.
- Savoir renoncer ou adapter son programme (ce qui pose un vrai problème de timing sur les expéditions commerciales. Sur une cordée amateur, c’est le moment où l’on voit si les valeurs humaines priment sur le sommet à tout prix).
- On voit trop souvent des cordées laisser une personne malade et la reprendre à la descente. Quelquefois, ça finit très mal.
Cet article basé sur diverses publications scientifiques et ma propre expérience de terrain n’a pas d’autre prétention que d’apporter une sécurité supplémentaire à vos sorties en altitude. Les personnes désirant approfondir le sujet peuvent consulter le site de l’Ifremmont et la brochure « santé et altitude » de l’ARPE.
Merci à Olivier pour ce dossier et à Paul pour les photos.
Auteur : Olivier Grobon