Sortie du 11 juin 2024 par François Lannes Le Rissiou (2622m) : Traversée du versant ouest – Abri Chalvet (2150m)
Une belle exploration dans un versant peu - pour ne pas dire pas du tout - raconté.
Itinéraire, carte // Fiche topo
Topo de référence
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Conditions météo
Beau temps toute la journée.
Ciel bleu le matin, mais très léger brouillard en courant d’après-midi.
Sol mouillé de rosée le matin, sec ensuite.
Récit de la sortie
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Depuis la lecture de la sortie de CourtePatte, faisant la traversée du Rissiou par les arêtes, mon intérêt pour cette montagne s’était fait presque obsessionnel : il lui avait suffi d’évoquer un sentier à l’abandon pour que la flamme de l’attirance s’allume. Dans la foulée, une étude sérieuse de ces lieux avait été lancée à l’aide du Géoportail.
De cette étude avaient résulté plusieurs idées de balades.
Une première sortie, sur le flanc nord, à la recherche des sentiers laissés en désuétude, fut faite fin avril. Mais la présence de gros névés, encore bien durs, avait rapidement stoppé la tentative. En attendant que la neige fonde au nord, il y avait une autre approche, inscrite dans le programme, et qui figurait en seconde place : le versant ouest.
D’après la carte Top 25 d’IGN, ce long versant ouest comporte un sentier dans la zone au-dessus des forêts. Ce sentier fait la traversée horizontale du versant, mais n’en va pas au bout, car les pointillés s’arrêtent à mi-parcours. En étudiant ensuite la photo aérienne du Géoportail, je constatais que le sentier existait en fait plus loin que le pointillé ne le montrait, vers le nord, sans toutefois rejoindre l’épaule nord-ouest de la Tête de Monvoisin, épaule qui aurait ainsi constitué l’objectif ultime.
Sur les quatre kilomètres de cette traversée, le sentier en fournissait trois, et il en manquait un pour qu’elle puisse être achevée. Sauf qu’avec un peu de chance, peut-être que ce dernier kilomètre pourrait être franchissable, dans les granites de ce flanc ? Cela valait le coup d’aller vérifier sur place la réalité du terrain.
L’espoir est toujours un moteur puissant…
Les conditions climatiques du mois de mai 2024, et du début juin, n’étaient pas très favorables, et je craignais que la fonte des névés ne soit pas suffisante pour libérer les franchissements des ravins du versant, franchissements qui alors auraient pu constituer de grosses difficultés avec la neige. Vers le 10 juin, trépignant d’impatience, je me lançais quand même dès qu’un jour de soleil fut annoncé par la météorologie.
En termes de difficultés, la dénivelée n’est pas le problème du jour, car le départ peut se faire à 1700 mètres d’altitude, à la cheminée d’équilibre de EDF. La difficulté peut par contre provenir de la potentielle faible fréquentation du sentier, et des obstacles inhérents que cela signifie : les cailloux, les pierres qui auraient roulé jusque sur la trace, ou bien les branches et troncs en travers du chemin, voire même un éboulement de la trace !
Les outils nécessaires sont mis dans le sac à dos.
Mais je ressentais une autre difficulté dans ce projet, et elle était psychologique : ce sentier s’enfonce horizontalement dans un long versant où il est le seul qui soit répertorié. Nul autre chemin ne vient à sa rencontre, aucune possibilité autre d’échappatoire ne se devine, et notamment pas en redescendant hors-piste directement vers le fond de la vallée car ce versant est raide, forestier et rocheux. Donc, du moment que l’on a entamé cette traversée, aux alentours des 2000 mètres d’altitude, il faut avancer – essayant d’aller tout au bout – mais en calculant de savoir revenir à son point de départ par le même chemin.
Cette situation me donnait l’impression de vouloir plonger dans le siphon d’une grotte avec comme seule solution de retour de devoir repasser l’obstacle dudit siphon, en sens inverse. Un stress s’insinuait en moi à cause de cette image pernicieuse. Et je ne comprenais pas pourquoi cette espèce d’angoisse me tenaillait cette fois-ci, alors qu’elle n’apparaît pas de la même façon d’autres fois quand il s’agit de monter vers un sommet, droit vers le haut… ??
Le début du sentier est vraiment très beau : il s’agit d’une forêt d’épicéas – une pessière – dans laquelle de très nombreux cônes recouvrent le sol, au point de risquer de rouler sur eux !
La Bifurcation est facilement repérable, et je m’engage dans le commencement de ce versant ouest. L’ambiance est austère, sous ces arbres ayant poussé dans une pente très raide. Mais comme la trace est bonne, il n’y a pas d’hésitation.
L’intérêt d’un versant ouest est double : d’abord on est à l’ombre le matin, lors de la montée, et la transpiration est donc moindre ; ensuite, sur le côté gauche du randonneur, les montagnes de l’autre côté de la vallée, orientées à l’est, prennent le plein soleil du matin et cela fournit un décor des plus fantastiques, d’autant plus captivant si l’arrière-fond est constitué d’un ciel complètement bleu !
Et c’est bien le cas ce matin.
Arrive le moment où – sortant de la forêt – le panorama s’ouvre sur le versant : il s’agit du bassin versant du ruisseau de Chalvet. J’attendais ce moment avec impatience car ce que j’allais voir maintenant allait donner le ton de la suite du parcours.
Aux jumelles, la trace est bien visible : il n’y aura pas de souci jusqu’à l’éperon Chalvet, qui ferme l’horizon un kilomètre plus loin. Cette trace est belle, fendant les massifs de rhododendrons avec une netteté surprenante. Sans elle, ces végétations épaisses seraient un obstacle majeur.
La courte pause (jumelles + casse-croûte) m’a refroidi. Ici c’est l’ombre. Et l’espace dégagé de ce bassin versant a perdu quelques degrés de température que la forêt arrivait à conserver dans le petit matin.
Traverser tout ce flanc du ruisseau Chalvet fut facile, très plaisant.
Un ancien abri de pierres, cent mètres d’altitude sous le sentier, n’a pas survécu aux décennies : il est en ruines. Je n’ai pas pu détecter de trace qui y mène. Pourtant elle a dû exister.
L’arrivée sur l’éperon Chalvet fut la rencontre avec à la fois un névé de quinze mètres de diamètre, et avec un pierrier de gros cailloux.
Mais la surprise du lieu fut de trouver un abri de pierres beaucoup plus vaste que ceux que j’avais pu voir jusque-là. Faisant environ dix mètres de long, sur presque trois mètres de large, ses murs font plus d’un mètre de haut et sont constitués de blocs parfois très gros, sûrement difficiles à manipuler. Il n’a pas de toiture. Son sol est presque plat, et assez dégagé pour pouvoir imaginer de passer une nuit dans sa protection.
La contrainte principale de tels bivouacs, qui est l’eau, est solutionnée par le gros névé qui jouxte l’abri et dont la réserve peut tenir peut-être jusqu’au milieu de l’été. En tout cas, au 11 juin cette année, la réserve est largement suffisante.
Au-delà de l’abri Chalvet, la trace devient plus mince : il est évident que la fréquentation du sentier a baissé d’un cran. Mais elle se voit encore bien. La seule précaution à prendre est de ne pas avancer trop vite et de bien chercher le point suivant à atteindre, à chaque fois qu’un espace dégagé se présente. Ainsi, de point en point, la progression se fait sereinement.
Le contournement du sommet 2362 m, qui permet de rejoindre la zone basse du Fond des Casses, est la partie la plus ludique de tout le parcours, avec un sentier se faufilant entre les granites de petites falaises, entre les pins noirs d’Autriche aux branches garnies d’aiguilles douces au toucher, et à côté de quelques troncs mastoc parfois en bien mauvais état, voire morts.
Ce contournement amène au ruisseau des Hugues, à sec lui aussi ; il faut comprendre que la seule eau possible dans ce large versant est celle de la fonte des névés, ou d’une pluie, mais sans possibilité de faire de réserve. Et il n’y a pas de lac…
Au moment où le sentier va disparaître, se montre un autre aménagement humain, dans ce lieu inhumain : une plateforme vaguement herbeuse, de trois mètres sur trois mètres, assise sur un mur rabougri. Bien sûr pas de toiture. Quelle misère ! Qui donc pouvait avoir besoin de s’installer ici, et pour faire quoi ??
Probablement que des chasseurs en font leur office, l’automne venu. Mais sinon, qui avant ??
Maintenant le sentier disparaît.
Malgré toutes mes recherches, il n’y a rien de plus au sol que les végétations basses, les pins et les roches de granite : plus aucun sentier ! Alors, dans ces conditions, la progression devient très différente. Elle est lente, hasardeuse, potentiellement dangereuse si un bloc rocheux du pierrier bascule inopinément sur un pied. Bref, elle n’a rien d’agréable, ni de facile.
Il est aisé d’admettre qu’il ne va pas falloir s’obstiner.
Cela fait quatre heures que je marche sur cette trace, et elle n’en nécessitera guère moins pour le retour.
La décision devient évidente : le demi-tour est à faire, maintenant.
J’ai le regret de n’avoir pas pu aller jusque sur l’épaule sous la Tête de Monvoisin, ce qui était le but convoité secrètement, mais il reste trop de distance à parcourir afin d’y arriver. La marge de sécurité pour tenter un tel effort n’est pas là – plus là.
Et les capacités d’antan ont fui.
Il est tellement probable que je ne reviendrai jamais ici – il est rare que je revienne deux fois au même endroit – que l’idée, formée dans l’esprit, de cette traversée entièrement finie, ne sera jamais une réalité…
Enfin, pas par moi, en tout cas.
Cela fait deux fois, en un mois de temps – c’était le 10 mai passé – que le projet réfléchi, conçu puis tenté, foire…
C’est un peu dur à subir. Mais il faut bien accepter maintenant que c’est là le nouvel état des choses.
Le retour : il se fait bien.
J’en profite pour pousser quelques cailloux hors de la trace, pour enlever un bout d’un massif de rhododendrons qui était devenu trop envahissant et, dans la forêt, pour écarter les branches mortes tombées en plein milieu. Les réflexes sont toujours là, eux.
Quelques photos sont faites, en arrière, de ce versant maintenant éclairé par le soleil de l’après-midi. La lumière le rend plus doux, plus accueillant. Peut-être faudrait-il y venir à cet horaire-là, de fin de journée, pour en éprouver une autre atmosphère, une convivialité ??
Un peu plus tard, les gros nuages blancs qui encombraient Belledonne ce matin, ont traversé la vallée de l’Eau d’Olle, et viennent boucher quelques minutes la visibilité. Mais cela n’est pas inquiétant : la trace est là, belle, qui rassure.
La fatigue me tombe dessus avant d’en être à la voiture…
C’était le bon choix que de faire demi-tour.
C’était l’évidence…
Photos
Auteur : François Lannes
Avis et commentaires
Je viens de t’envoyer mon document, mais il ne passe pas (24 Mo). Je vais en faire des morceaux.
Bonjour hereme,
Je t’ai bien transmis mon adresse courriel, mais par la messagerie privée de Altituderando.
Si tu regardes ton cmpte, tu devrais y trouver mon message
Si l’on passe plus haut, il y a quand même le bassin-versant du Neyron à traverser, ce qui ne paraît pas évident. Quant au passage de l’éperon, ça m’a l’air bien pentu.
J’ai fait quelques essais, mais rien de convaincant (si tu me donne ton adresse e-mail, je t’enverrai les copies d’écran que j’ai faites).
J’avais bien repéré les cabanes ancienne et nouvelle, aux coordonnées que tu as indiquées.
Pour les ruines à l’est de l’ex-cabane, cela ressemble plutôt à des abris au sol (murets de pierre), voire un enclos.
Bonjour hereme,
Merci de tes remarques, compléments et approbation. Cela fait du bien !
A propos de la nouvelle cabane de Monvoisin.
Elle est bien visible sur Géoportail aux coordonnées suivantes :
Latitude 45° 19 64 64
Longitude 6° 06 20 99
Altitude 2140 m
Avec ces informations, tu devrais la voir.
A propos des vieilles cabanes de Monvoisin :
la principale est la forme carrée :
45° 19 55 71 et 6°06 23 78.
Mais, 50 mètres à l’est, on voit d’autres anciens murs. Est-ce que cela te semble aussi des reliquats de cabanes ?? Ou bien alors un ancien enclos ??
A propos de ce que tu as appelé un mur de D+ 30 m.
Effectivement, sur place, c’est cela qui m’a arrêté. Cette zone est très raide, avec des bouts de falaises, garnies de végétations. C’est très repoussant et moi non plus je n’ai rien vu qui puisse être un prolongement du sentier. Vouloir passer hors-piste là-dedans m’a paru complètement irréaliste.
J’ai bien repéré ce que tu as nommé des "semblants de passages vers 2150 m". Ils m’ont paru bien minces et très discontinus, et probablement dans des rhododendrons épais, ce qui rend la marche plus que difficile.
Par contre, ce matin, en reprenant tout ce problème j’ai quand même repéré une solution - partielle !
De ce que j’ai nommé "Terrasse du Fond des Casses", il faudrait monter à 2175 m pour atteindre un pierrier longitudinal permettant de traverser la partie ardue de l’éperon NO descendant de la Pointe Chalvet.
Qu’en penses-tu ??
Salut François. Comme d’habitude, je suis avec attention tes pérégrinations à la recherche des sentiers perdus (comme je le fais moi-même, mais virtuellement hélas, avec GoogleEarth).
A la fin de ton tracé, en observant bien, il y a un "mur" de D+ = 30 m sur une distance de 80 m, ce qui fait quand même une pente respectable. Je n’ai pas pu trouver le moindre vestige d’un cheminement quelconque.
Après cet obstacle, on trouve des semblants de passages, vers le niveau 2150 m, à peu près à plat, jusqu’aux cabanes de Monvoisin, ancienne (ruines) et nouvelle (visible sur OpenStreetMap, pas sur IGN).
Tu n’as donc pas à avoir de regrets, et remercie le bon sens qui t’a fait faire demi-tour.
Bonjour gegers,
Oh non, je ne sais pas quelle était l’utilité initiale de ce sentier...
La présence de ces différents abris, aujourd’hui ruinés, est peut-être une preuve d’activité pastorale ?? Mais l’éloignement de ces maigres prairies du village de Vaujany (à l’époque où la route menant à la cheminée EDF n’existait pas) laisse penser que ce n’était pas des paturages : il y avait d’autres paturages plus proches à utiliser.
Les chasseurs sont toujours allé bien loin dans la montagne et peut-être s’agit-il alors de leurs constructions ??
Dernière idée : tu as vu le marquage "Réserve" en grosses lettres rouges ? Peut-être est-ce là l’explication actuelle de ce sentier, finalement pas si abandonné que cela, tout compte fait.
En y repensant, je le trouve plutôt bien entretenu.
Bonjour vermatoiz,
Et oui, bien que ce soit un peu loin en voiture, pourquoi ne pas aller y faire un tour ??
Tu vois, après coup, j’en viens à dire que ce sentier est bien entretenu....
Merci François de nous faire marcher dans tes pas à travers cette narration très vivante et brute. Il est toujours intéressant de découvrir comment certains sentiers s’ouvrent, d’autres se referment, sais-tu par exemple quelle était l’utilité de celui que tu as emprunté, était-il utile uniquement pour les chasseurs ?
Encore une belle traversée sauvage, ça serait bien tentant....
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