Sortie du 8 octobre 2023 par Val Pic de Bure (2709m) par la Combe Ratin

Choisissez bien votre manière d'aborder cette montagne, car il y a de nombreux itinéraires. Prenez le temps de lire votre carte. Définissez votre propre tracé, car Bure veut vous tester sur bien des aspects.

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Récit de la sortie

En démarrant l’écriture de mes trois sorties dans le Dévoluy, je ne savais pas comment introduire celle du Pic de Bure. J’ai mis du temps à trouver l’accroche.

Nous sommes le 8 octobre 2023. Cela fait trois semaines que j’ai voyagé sur les deux gros morceaux du massif. Bure se rangeait petit à petit au fin fond de mes pensées. Mon moi conquérant ne s’intéressait pas tant que ça à son ascension au vu du peu de difficultés techniques qu’il présente. Pour autant, je suis qui je suis et je conclurai la trilogie. Je veux découvrir le Dévoluy dans son intégralité.

Mon itinéraire

Un beau jour avant de partir, j’ai sorti ma carte IGN et j’ai analysé le tracé de la combe Ratin. Le topo me plaisait bien. Mais n’y avait-il pas moyen de rendre la chose plus palpitante ?

Pour commencer, je prendrai le départ de Superdévoluy. J’étais venu dans cette station quand j’étais tout petit, alors pourquoi pas y retrouver quelques souvenirs ?
Ensuite, en observant le tracé sur ma carte, j’ai remarqué un point nommé "la traversée Héroïque". Je cherche aussitôt sur internet et je m’emballe. C’est un passage monstrueux empruntant un Chourum.
C’est incroyable haha !
Tracé terminé. On embarque.

Départ

Je libère un jour au mois d’octobre et personne ne peut se joindre à moi. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas grimpé en solitaire dans les Alpes.

L’idée est simple : partir de Toulon à 5h du matin, arriver sur place vers 8h et revenir le soir avant 22h.

J’ai du mal à dormir. Le départ est rude. Tant mieux. Je conduis un peu plus de 3 heures pour finalement arriver à bon port. Ça ressemblait donc à ça Superdévoluy ??? Malheureusement, aucun souvenir...

Je pars en direction de la combe de Corne.
Je traverse un petit bout de forêt qui donne sur une magnifique prairie. Avec le lever du soleil et le silence (presque) absolu, le spectacle est touchant. Le bout de navire de Bure ne manque pas de poser en arrière plan.
J’enchaine ensuite sur une piste qui suit le fameux téléphérique. C’est la partie la moins intéressante.
A partir de la combe de Corne, je cherche le Chourum. Au bout de quelques minutes, un trou béant et complètement noir se dévoile dans la montagne. Bingo.

Traversée Héroïque

Un grand pierrier barre le chemin. C’est donc là que je le trouve. Le légendaire "passage".

Bon, je le sais, ce détour va être très technique.

Ce pierrier à la forme triangulaire le confirme d’ores et déjà. C’est glissant et les pierres sont instables, comme dans le chaos de l’Aiglière.
Il n’y a plus vraiment de sente bien définie. Alors j’en appelle aux cairns, comme au Rochebrune. Mais eux aussi sont perdus.
Avec mes deux bâtons, j’avance malgré tout vers le cœur de l’épreuve : le petit couloir menant directement dans la cavité. Ça m’a l’air aussi raide que dans le couloir du pic Nord.

Oh sacré Chourum, tu me rappelles bien des ascensions !

Je grimpe, je me retiens, je glisse, et je refais deux pas. Je lève la tête et l’obscurité du Chourum s’atténue. Mes battements de cœur augmentent. Les pentes herbeuses m’appellent à droite. Est-ce une bonne alternative ?
Je ne sais pas. Feu.

En les rejoignant, ma carte IGN accrochée à mon sac tombe. Le couloir est si raide qu’elle dévale quelques mètres. Je pourrai la laisser là et tracer ma route dans ce calvaire. Mais non. Je prends au moins 15 minutes à la récupérer, car c’est presque impossible de descendre en sécurité. Je repars tout dégoulinant.

Je remonte les herbes et je me rends compte qu’elles mènent à une impasse. Il faut donc retourner dans le couloir avant qu’il ne soit trop tard. Je regarde en arrière. C’est énorme, je viens de grimper ça. Je sors mon téléphone pour faire une vidéo. Je souris à la caméra. Ça n’est pas de l’égo, car j’en bave vraiment. C’est plutôt l’adrénaline. Mais le Chourum n’est plus très loin. Encore un petit effort, puis un deuxième...

Enfin j’attrape cette maudite corde orange. Victoire ? Non, il reste un Chourum à traverser, et un sommet à atteindre. Mais... quelle étape dans une vie de montagnard...

Yeux du monde

La Traversée héroïque s’inscrit dans mon panthéon des plus grands "passages" que j’ai traversé. Cette transition entre le crapahutage de plus en plus douloureux jusqu’à l’arrivée dans cette grotte fantastique qui ouvre ses yeux droit sur nous... C’est un conte de fée ?

Les yeux du monde. C’est comme ça que je les appelle. C’est comme si la nature voulait nous faire passer un message. Ça n’est ni chaleureux, ni oppressant. Ou peut-être que c’est les deux réunis.
Voici la définition d’époustoufler.

Je ne pense pas que ce genre de trésor n’est réservé qu’aux plus aguerris. Ça n’est pas que ça.
Il faut avoir le cœur. Le cœur à l’ouvrage. Le cœur brûlant de curiosité et d’amour envers ce monde. Quelle beauté.

Aujourd’hui j’ai la tête rivée vers le visage de la Terre. Elle a des yeux et elles me regarde. Les miens sont grands ouverts aussi. Je ne suis pas concentré ou combattif cette fois. Je souhaite simplement contempler.

Après quelques photos, je repars vers la sortie. C’est difficile de s’arracher d’un tel moment.
Je vise l’œil de gauche. L’escalade n’est pas si compliquée, mais il faut quand même faire attention.
Après de multiples efforts sur les dernières touffes d’herbes, je sors du Chourum pour rejoindre le plateau de Corne. Le soleil m’accueille chaleureusement une fois de plus. Ça me rappelle la sortie du couloir de l’Obiou.
Je me retourne pour voir le Chourum. C’est impressionnant d’ici, ce trou béant dans la montagne.

Je m’assieds au sol 5 minutes pour souffler un coup. Je prends le temps de réaliser ce que j’ai traversé. Quelle épreuve mémorable.
Peut être que pour certains, cette traversée est juste amusante. Pour moi c’était énorme.

Combe Ratin

Je mange un bout et j’envoie le drone. Je repars ensuite en direction de la combe Ratin. Je vois enfin du monde. Je ne suis plus seul !

Dans la combe, je progresse à bonne allure. Je dépasse deux gars, je prends une petite pause, et je continue vers le plateau. C’est de plus en plus long, j’avoue trouver pénible la dernière partie.

Plateau de Bure

Et me voilà enfin. Je me dis haut et fort "Quel bordel !".
Peut-être que pour certains cet édifice fait tâche sur ces terres sacrées du Dévoluy.
Moi, j’adore. J’ai jamais vu un tel complexe. Les télescopes sont géants et presque intimidants. Ils bougent en plus ! La dernière fois que j’ai ressenti ça, c’était au Chaberton (3131m). La différence est que le fort, construit pour détruire, s’est fait démolir.
Cet interféromètre est là pour attraper des objets froids sous forme d’ondes radio présents à des millions d’années lumières dans l’univers... Rien à voir donc.

Un homme me rejoint alors que je suis bouche bée. D’abord on parle de ces télescopes, puis du Dévoluy. Il me parle avec passion du massif et des randonnées qu’il a parcouru depuis sa jeunesse. Je lui donne 60 ans, il me dit qu’il en a 75. Monstrueux.
Au fil de la discussion, je commence à comprendre une chose. C’est un amoureux du Dévoluy. Et dans ce massif, il y a visiblement quelque chose qui nous y rattache profondément.

Il ne compte pas aller au sommet. Après ce bel échange, il me salut avant d’entamer la descente.
J’espère qu’on se reverra !
Il me répond "très certainement si tu reviens dans le Dévoluy".
J’adore.

Ascension finale

Le sommet paraît loin. Nous sommes en octobre et il fait très chaud. Je longe cette ligne infinie guidant les appareils et j’aborde le final.
Rien de difficile, juste l’épuisement qui commence à se faire ressentir. Ça fait quelques heures déjà.

Sommet

J’arrive au sommet seul. Mon seul compagnon sera - je suppose - un vautour tournant en rond au-dessus de moi. Tu as vu mon plat, vieux rapace !

Permettez-moi d’écrire quelques mots au sujet du panorama. Dans mes récits sur le Ferrand et l’Obiou, j’expliquais que mon arrivée sur chacun d’entre eux avait été quelque peu gâchée par les nuages. Je n’avais donc jamais vraiment obtenu de vue d’ensemble sur le massif.

Aujourd’hui, le Soleil est à son Zénith. Pas un nuage pour me cacher la vue. Je suis placé au centre du Dévoluy, au sommet de Bure.
Je vois le Ferrand et je vois Maubourg.
Je vois le légendaire Obiou, qui est tellement imposant, et le col des Faïsses.
Je vois Faraut. Je vois la plaine, le col du Festre et Superdévoluy.
Les télescopes sont ridicules d’ici. Je vois le massif dans son intégralité.
Je vois aussi les Écrins, les Alpes du Sud, et tant d’autres choses...

Ça n’est pas une victoire. C’est un rappel à la vie.

Redescente

Lors de la descente, Bure m’a rappelé que j’étais diabétique (type 1). Une forte hypoglycémie m’a forcé à m’arrêter 10 minutes sur le plateau, un peu avant de rejoindre l’interféromètre.

Ensuite, en entamant la descente de la Combe Ratin, Bure m’a rappelé que je n’aurai plus d’eau jusqu’à la voiture. J’avais pourtant pris 4.5L.

Je me revois entrain de sentir ma gorge sèche en arrivant dans le vallon de Corne. Quelle sensation horrible. Bure m’a rappelé que j’étais livré à moi-même.
Je ralentis.

Mais en fin de compte... est-ce vraiment Bure qui me chuchote sans cesse ces choses là ?

Et finalement, en arrivant sur la piste longeant le téléphérique, je rattrape un gars (il m’attendait). Un humble randonneur content de me voir.
Il se présente. Je me présente, complètement sec.
Il m’explique qu’il m’a vu ralentir descendre la combe Ratin et qu’il tenait à discuter.

Tout en progressant jusqu’à nos voitures, on parle d’abord de tout et de rien, puis du Dévoluy. Voici un fervent amoureux du massif. Il a fait l’Obiou 6 fois me dit-il. Le Ferrand qu’une seule fois. Il connait Bure comme sa poche. Et il a emprunté la traversée Héroïque aujourd’hui, comme moi. On peut se comprendre !

Il me parle de plein d’anecdotes qu’il a vécu sur ces montagnes. Je pourrai lui parler des miennes dans le Queyras ou les Ecrins, mais je préfère le laisser me conter le Dévoluy (en vérité j’avais la gorge sèche).

On arrive à la station. Je n’ai pas vu le temps passé grâce à lui. Avant de nous séparer, il me dit qu’il espère me recroiser un jour. Pareillement, sois en certain.

Le légendaire Obiou résonne dans le cœur de beaucoup d’entre vous, amis randonneurs. Mais mon expérience auprès de Bure me fait hésiter.

C’était la dernière grosse ascension de mon année 2023, et quelle histoire...

Bure

Bure m’a enseigné toutes les leçons. Il m’a offert de belles épreuves.
Celle de partir seul à 5h du matin de Toulon pour faire 3 heures de route. Celle de la traversée Héroïque. Celle de cette longue ascension. Celle de manquer d’eau.

Il m’a également offert des jolies rencontres. Les deux hommes avec qui j’ai discuté, ou encore cet échange de regard dans le Chourum !

Dévoluy, je suis venu sur tes terres en conquérant. Me voilà reparti en humble humain, plein de souvenirs.

Sur la route du retour, je m’arrête une dernière fois au col du Festre. Il y a une fontaine, alors je recharge les batteries.

Je jette un dernier regard vers ce massif qui m’a si bien accueilli avant de rentrer pour de bon sur Toulon.

Hahaha je reviendrai !

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Randonnée réalisée le 8 octobre 2023

Dernière modification : 20 mai 2024

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Avis et commentaires

Merci beaucoup ! Faraut comme d’autres dans le massif m’ont l’air intéressants !
En effet, pour en revenir à ces trois là, les nombreux itinéraires présents sont à prendre en compte.

Bravo pour ta trilogie !
Mais le Dévoluy ne se résume pas à ces trois grands sommets, loin de là. Il y en a tellement d’autres. Aussi, ce qui fait la particularité du massif, c’est que la plupart de ses montagnes sont truffées de variantes, et au-delà du but d’arriver au sommet, c’est l’itinéraire à arpenter qui devient un nouveau défi. Rien que le plateau de Bure, on peut y accéder par une dizaine d’itinéraires différents sans trop d’escalade...

" Ça n’est pas que ça. Il faut avoir le cœur. Le cœur à l’ouvrage. Le cœur brûlant de curiosité et d’amour envers ce monde. Quelle beauté. "
Quand la Montagne nous prend aux tripes, l’inspiration n’en est que plus forte ! C’est beau !

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