Sortie du 27 avril 2023 par François Lannes Le Moucherotte (1901m) par le pilier est
Pour ce pilier, ce ne seront ni la deuxième, ni la troisième fois qui réussiront ! Ni la quatrième, ni la cinquième, d'ailleurs....
Itinéraire, carte // Fiche topo
Topo de référence
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Conditions météo
14 janvier 2020 : grand beau temps froid. Sol gelé et quelques neiges.
27 avril 2023 : temps gris. Terrain sec et souple.
Récit de la sortie
Récit qui fait suite à celui de la sortie du 10 octobre 2017
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L’impression d’avoir fait le tour des possibilités sur ce pilier est resta longtemps la conclusion retenue des visites faites sur les lieux.
Sans regret, sans amertume non plus, le « bonhomme » en restait là, à contempler la montagne, d’en bas, en se disant que l’histoire était terminée, même si la démarche n’avait pas pu être achevée comme il le souhaitait. Les coups d’œil du matin, au portillon du jardin, continuaient pourtant, comme un réflexe de tradition, coups d’œil qui, sans chercher à relancer le projet, servaient tout de même à entretenir le lien particulier déjà si ancien.
Pourtant il y eu un changement, un jour.
Rien ne permit de comprendre ce que fut ce changement, ni d’où il vint.
Il faut croire que l’esprit travaillait, dans le crâne, à bas bruit, et que sans le montrer il cherchait une solution à ce pilier.
Ce fut certainement à l’occasion d’une nuit devant l’ordinateur, à fouiller les photos stockées, à les comparer l’une à l’autre en variant les angles de vue et les éclairages du soleil, que l’idée arriva.
Il fallait poser un rappel !
Oui, un rappel de corde.
C’était une drôle d’idée, vraiment osée, mais voilà elle semblait être la seule solution..
De la Terrasse Panoramique, aucun prolongement n’avait pu être trouvé. Chacune des directions pour poursuivre le remontée du pilier était bloquée.
Utiliser le côté gauche, c’est-à-dire le versant est, cela signifiait faire un large contournement dans le flanc et donc perdre la continuité du pilier. Ce n’était ni logique, ni élégant. Remonter le côté droit par contre, signifiait s’engager sur des falaises verticales – ou quasi verticales – donc dans un terrain sur lequel il n’était pas question pour moi de me jeter.
Sauf que, en examinant le détail des reliefs de ce côté droit du pilier, et en particulier ceux de la partie supérieure, il y avait là une espèce de couloir très raide – très raide mais non vertical – partant du sommet même, garni de nombreux pins qui pourraient être fort utiles pour l’assurance et la sécurité. Ce couloir descendait presque jusqu’à la hauteur de la Terrasse Panoramique.
Donc en tirant un court rappel de corde, de la terrasse en direction du couloir, il y aurait peut-être moyen de trouver un cheminement.
L’idée venait de cristalliser !
Sauf que, de l’idée à la réalisation, il y avait encore quelques réflexions à mener, et des vérifications à faire.
Imaginons que je m’engage dans ce rappel : quelles en seraient les conséquences ?
Bien.
Faire ce rappel permettrait apparemment d’arriver sur une petite vire (que je suppose être là), très étroite. C’est elle qui est au pied du fameux couloir venant du Moucherotte. Sauf que, par ailleurs, elle est pile au-dessus d’une falaise verticale (voire surplombante) haute d’environ quatre-vingts mètres.
Bon.
Une fois sur cette vire, donc, il faudra pouvoir – savoir ? – remonter par le fameux couloir, jusqu’au sommet. D’après les photos, les trente premiers mètres de cette remontée sont, à coup sûr, de l’escalade. Cette escalade peut s’avérer m’être impossible : il y a si longtemps que je n’ai plus pratiqué la chose...
Si je ne peux pas escalader, et que la corde de rappel a été tirée à moi, alors je suis bloqué sur la petite vire !
Bof !
Si la corde n’a pas été tirée, la remonter sur les quinze mètres du rappel en question, qui sont verticaux, est un exercice que je ne veux pas avoir à tenter : c’est trop athlétique et dangereux !
L’hypothèse de s’échapper par le bas, signifierait de poser deux rappels acrobatiques, probablement très impressionnants. Et je n’ai pas envie, là non plus, de me lancer dans ce funambulisme.
En conclusion : si je n’arrive pas à remonter l’escalade du couloir, je reste bloqué sur la mince vire, au bas du rappel…
Donc cette idée d’un rappel depuis la Terrasse Panoramique a une ressemblance forte avec un coup de poker, ressemblance que je n’apprécie pas du tout, ce d’autant moins que le projet du pilier continue d’être un projet que je souhaite mener en solitaire. Et quand on est seul, il n’y a pas de place à l’imprudence…
Je refuse de tenter le scénario dans ces conditions-là !
Je battais donc en retraite.
Mais avec ce pilier du Moucherotte, un certain stress commençait à s’immiscer, et à croître, car je n’arrivais pas à faire sortir cette idée de l’esprit à la jeter aux orties.
Il fallait réfléchir encore, et mieux : trouver une solution.
Forcé d’analyser plus précisément la situation, et faute que le stock de photos soit assez complet, une balade de vérification fut lancée. Il fallait s’approcher du pilier, dans le meilleur angle possible, et faire des clichés au zoom. Avec un peu de chance, il en sortirait des informations utiles, et décisives.
Ce fut la sortie du 14 janvier 2020.
Au cours de la semaine précédente, la neige était tombée, en faible quantité, et le soleil d’hiver ayant quelque peu réchauffé l’atmosphère, le terrain avait été préparé au mieux afin que les détails des rochers soient vraiment lisibles. Parti du pied du tremplin de Saint-Nizier, j’empruntais le sentier par le bois de Poussebou. Des photos furent prises du pilier, par son travers d’abord. Ce profil était impressionnant de raideur ! Arrivé au sommet de Château Bouvier, d’autres photos furent faites qui montraient cette fois le pilier vu de face. Les belles lumières de cette mi-journée d’hiver étaient parfaites pour mettre les reliefs en évidence, et les quelques neiges présentes soulignaient juste comme il faut les creux dans la face.
Ces images clarifièrent bien la situation. L’idée d’un rappel se renforçait, et commençait à tenir la route. Mais le projet restait malgré tout trop osé pour m’inciter à me lancer dans une tentative. En fait, d’autres projets, dans le Chamousset de la Jarjatte cette fois, qui étaient plus simples et moins audacieux, détournaient l’attention de ce Moucherotte.
Et le temps passa, une fois encore…
Une vague incursion fut lancée en avril 2021. Elle fut rapidement stoppée par les plaques de neige du printemps qui empêchaient de s’avancer trop loin dans les vires.
C’est en janvier 2023 que l’idée refit surface.
Les photos étaient quand même assez précises, et l’envie de tenter ce rappel s’affermissait au fur et à mesure des réflexions menées. C’est là que la bonne idée s’ajouta au projet. Plutôt que de poser le rappel et de partir à l’aveuglette pour cette remontée en escalade, il fallait plutôt descendre du sommet du Moucherotte, par le couloir à côté du pilier est, et voir ce que cela donnait : tout simplement.
L’idée est d’une grande évidence pourtant, mais elle n’avait pas encore fait son chemin dans mon esprit.
En allant ainsi vérifier comment cela passe dans la partie supérieure du pilier, peut-être arriverais-je jusqu’à hauteur de la Terrasse Panoramique – ou pas loin – et qu’ainsi j’entrouvrirais une fenêtre de solution.
L’idée était bien bonne : elle me plaisait.
Je dirais même plus : l’idée était LA bonne !
L’exploration par le haut fut lancée le 27 avril 2023.
Il n’était pas question de faire de l’escalade à la descente, mais seulement de repérer les lieux. Le sac à dos était donc assez vide : seule une corde y était entassée, au cas où un passage soit compliqué et mérite une assurance légère.
Le départ sous le relai hertzien du Moucherotte est délicat : la pente est raide et le changement d’ambiance d’avec les larges replats confortables du côté ouest demande une acclimatation de quelques minutes. Muni du bâton rigide et du piolet, cette première étape passa.
Un cône herbeux se présente ensuite, qui se descend assez bien. Le secteur est de suite très sauvage, mais il est aussi pollué par des débris de toutes sortes (conserves rouillées, éclats de verre) provenant hélas de l’intense fréquentation du sommet ! Un nettoyage s’imposera, un jour…
Plus bas, un cheminement par la droite évite un ressaut rocheux. Il faut se glisser entre des pins de taille respectueuse, qui ont ménagé ici un tapis d’aiguille bien épais, sur lequel je glisse parfois !
Arrivé sur un promontoire, qui correspond au vrai sommet rocheux du pilier est, je profite d’un magnifique point de vue sur la vallée de Grenoble.
À peine cent mètres me séparent de la crête sommitale, donc des autres randonneurs, mais je me sens déjà loin de tout ici, comme vraiment isolé. Il suffit finalement de peu de choses pour que la montagne vous extirpe de votre quotidien et vous emmène dans son monde, beau, rude, passionnant…
À la folie…
J’effeuille la marguerite !
Par un zigzag entre les pins, c’est l’arrivée au sommet d’une cheminée rocheuse, dans laquelle deux blocs de calcaire sont coincés. Cette cheminée fait six mètres de haut, environ un mètre de large, se rétrécissant vers le bas. Elle est quasiment verticale. Les deux blocs sont décalés l’un par rapport à l’autre, mais peuvent servir de repos intermédiaire pour descendre dans la cheminée.
D’en haut, intuitivement, je comprends que je saurai remonter là, en escalade, mais il vaut quand même mieux fixer la corde ici : elle pourrait servir tout à l’heure, lors de la remontée !
Glissant à moitié, la cheminée est descendue.
Un regard vers le haut confirme toutefois que je saurai la remonter. Ouf !
La corde fait trente-huit mètres.
Je m’y tiens fermement dessus, et poursuis la descente : cela devient très raide.
Un étroit couloir est la suite, sous les arbres. Les pins sont rapprochés et gênent le passage. Avec quelques acrobaties, mouvements d’esquive, enjambements chaotiques, je perds encore une dizaine de mètres d’altitude. Coincé comme je le suis entre les branches, le risque de tomber est nul. Par contre, celui de me déchirer la peau, lui, ne l’est pas. Et donc, je suis bien content d’être habillé de pied en cap, y compris de gants et de casque.
Ces acrobaties finissent sur une très petite plateforme, logée au milieu de plusieurs pins, plateforme que j’appellerai plus tard : « la Niche ». Les branches gênent la visibilité, et il est quasi impossible de voir précisément la suite. Il me semble que je suis encore un peu plus haut que la terrasse du rappel. Mais la conformation des lieux empêche de conclure fermement. Écartant un peu les branches, je devine, plus que ne vois, les reliefs en dessous. Il n’est plus question maintenant de continuer à descendre : pour le coup, ce serait de la folie. Il va donc falloir se contenter de ces maigres informations, qui n’offrent en fait aucune certitude.
Je suis descendu du sommet jusqu’aux environs de la Terrasse Panoramique, mais il manque quand même de voir les dix ou vingt derniers mètres en dessous pour être définitivement affirmatif. Aujourd’hui n’aura été qu’une exploration préalable. Il faudra revenir, pour préparer le terrain, pour l’équiper, avant de lancer la véritable tentative finale par le rappel.
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Photos
Auteur : François Lannes
Avis et commentaires
Oui bien sûr, on connaît le résultat, mais le plaisir de suivre tes pérégrinations pour y arriver n’en est pas moins grand !
Prends ton temps surtout !
Au plaisir....
Bonjour vermatoiz,
Et oui !
Je profite de la chose.
Au maximum...
Un peu comme si je me lèchais chaque doigt, lentement, après les avoir trempés dans une confiture !
En fait, ayant choisi d’être en solitaire pour ces sorties, je ne peux pas prendre en une fois tous les métériels nécessaires pour tenter et réussir le parcours du premier coup : ce serait trop lourd dans le sac (corde, perceuse, baudrier, spits, mousquetons, eau...). Cela m’oblige donc à y revenir plusieurs fois. C’est un peu long, je le concède, mais en même temps, le plaisir est là, à chaque balade.
Alors...
Mais rassure-toi : la conclusion de tout ça est bientôt atteinte.
De toute façon, comme le topo a paru, on sait d’avance quel est le résultat final de ces efforts.
C’est un vrai feuilleton, ce pilier Est !
On a hâte de voir la conclusion....quel suspense !
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