Sortie du 13 octobre 2019 par CourtePatte Pic Queyrel ou Queyron (2435m)
Une fantasmagorie de grès, les premiers flamboiements de l’automne, une pincée d’adrénaline et un superbe chemin de crête : voilà ce que j’appelle une balade bien remplie.
Itinéraire, carte // Fiche topo
Topo de référence
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Conditions météo
Couverture nuageuse assez présente en matinée, ciel se dégageant dans l’après-midi.
Récit de la sortie
Lors de la visite au Vieux Chaillol cet été j’avais eu le regret de devoir choisir entre cette ascension et la visite au Pic Queyrel, dont le topo m’avait paru particulièrement alléchant. Surtout en lui associant tout ou partie de la traversée des crêtes vers le Cuchon, pour laquelle il existe deux topos sur AltitudeRando : Celui-ci et celui-là.
Or voilà plusieurs jours que l’on s’entend corner aux oreilles que l’été indien c’est pour ce week-end. Il n’en fallait pas tant pour me précipiter vers les montagnes. Pic Queyrel, j’arrive !
Dès les premières heures de ce dimanche matin, il est évident que Champsaur et Écrins ne seront pas les premiers servis en matière de ciel bleu. Par-dessus le Dévoluy il arrive des successions de nuées laiteuses qui ont une fâcheuse tendance à engloutir le soleil. J’ai au moins cette chance qu’à 2400m, je suis largement sous le ventre des nuages ; mais j’ai une pensée compatissante pour ceux qui voulaient faire le Vieux Chaillol ce matin, car son sommet est résolument enveloppé, et le restera jusqu’à 14h.
Pour moi, malgré les éclairages parfois ingrats, je me régale. Les photos du topo m’avaient donné l’idée d’une sorte de Palais du Facteur Cheval à base de grès du Champsaur, et je ne suis pas déçue. On voit des totems, des chandelles, des draperies ; je retrouve les spécialités géologiques locales déjà rencontrées en montant au Vieux Chaillol (grès mouchetés et inclusions de « galets mous »...), et d’autres qui m’avaient moins frappée, comme la capacité de la roche à se débiter en prismes. Bref cette montagne est exactement comme j’espérais : un festival de grès.
Je voulais également profiter de cette sortie pour inspecter les progrès de l’automne. Les mélèzes sont encore généralement verts, mais plus pour très longtemps. Il y a déjà quelques individus pressés pour faire chandelle romaine au flanc des roches, et leur couleur se marie particulièrement bien au beige-chamois du grès ; mais ce sont surtout les feuillus, pour l’instant, qui allument des flammèches de jaune et de roux parmi les forêts de résineux en contrebas.
Un petit détour par l’arche double, et me voilà bientôt au sommet. Pour familières qu’elles me soient, les vues sont glorieuses : Dévoluy, plaine du Drac, vallée de la Muande etc. Dommage que le ciel caillé verse un éclairage morose sur les reliefs des Écrins, dont la teinte naturellement sombre en devient vaguement hostile. Bah, j’ai déjà bien profité de cette première partie de ma balade. Et ce n’est pas fini !
Il me faut maintenant mettre le cap sur le Col de l’Escalier. La descente, bien cairnée, ne pose pas de problème d’orientation et s’avère plutôt ludique, avec une portion finale dans un nappage de dalles de grès.
Désormais j’ai l’objectif suivant bien en vue : les cimes du Barry. C’est là, si j’en crois les topos, qu’il faut s’attendre à de petites difficultés au niveau des deux ressauts, avec des possibilités de contournement. Mais les deux topos dont je dispose ont tous les deux été écrits pour un trajet en sens opposé, donc il est possible que les choses se présentent différemment pour moi. En tous cas je suis gourmande des itinéraires de crête, où l’on se sent comme suspendu dans l’espace, et je suis enchantée par celui-ci.
Je monte donc au premier ressaut sans hésiter – il sera toujours temps de faire machine arrière. Et ça passe sans problème jusqu’aux derniers mètres avant le collet. Mais ces derniers mètres sont plutôt de l’ordre de l’arête : un étroit enchevêtrement de rochers, et du vide de chaque côté.
Or j’ai la trouille du vide (non ce n’est pas incompatible avec les chemins de crête : tout est affaire de largeur sous les pieds). Je ne m’en débarrasserai jamais mais j’ai décidé depuis longtemps que je ne lui céderai pas sans négociation. Et là c’est le moment de négocier car elle me paraît parfaitement faisable cette arête. Alors, grande inspiration, et on y va. Je m’accroche aux prises comme un bébé marsupial au ventre maternel, et ça passe. J’en suis quitte pour une petite poussée d’adrénaline et une bouffée de fierté intérieure. On a des petites victoires.
Au deuxième ressaut, j’improvise un peu. Si j’en crois un balisage semi-effacé, il faudrait se laisser plus ou moins glisser le long d’un rocher légèrement surplombant et je n’aime pas l’idée d’infliger une réception à mes cartilages dolents ; alors je trouve, à quelques mètres de là, une sorte d’escalier à flanc de roche (côté Muande) qui me convient mieux, même si je doute que le passage soit homologué. Et c’est la fin des difficultés sur le Barry. D’ailleurs j’arrive en vue du Col du Cendrié.
Mais minute. Quelque chose frappe mon attention : où sont les grès ? La formation rocheuse dans laquelle se dessine l’entaille du col est résolument schisteuse. Je dirais même qu’il s’agit de schistes lustrés, avec des reflets et des plissements qui ne dépareraient pas les Écrins. C’est que, sans le savoir, je viens de franchir la limite de la Surface de Transgression (les majuscules sont de moi… ) entre les grès, issus d’un dépôt sédimentaire en milieu marin, et le matériau cristallin plus ancien sur lequel ils se sont déposés (voir ici). En d’autres termes, je viens de prendre un coup de vieux de quelques millions d’années et de retrouver le matériau rocheux des Écrins.
La montée au sommet du Cuchon se fait par une bonne sente, dont les rares changements de cap sont très bien signalés par de petits cairns. C’est ici que s’arrête ce chemin de crête, interrompu par la Vallée de la Séveraissette 1000 bons mètres plus bas. Dommage ! j’aurais bien continué, moi. Il me reste à pique-niquer au sommet en profitant des vues, pendant que le soleil dépêtre lentement les embarras de nuages sur les sommets d’en face. Le temps que je me décide à redescendre, le nez du Vieux Chaillol est désormais bien dégagé.
Au Col du Cendrié, je descends côté plaine du Drac en direction des Infournas. Le sentier serpente d’abord au flanc du versant schisteux, offrant des angles de vision toujours renouvelés sur les pentes du Cuchon et du Barry. Le Queyrel, au fond, a l’air d’une bonbonnière à couvercle, avec son sommet comme emboîté dans la dernière barre rocheuse.
J’arrive bientôt à la maison forestière de Subeyrannes. M’est avis que ceux qui l’ont construite avaient un œil pour le beau paysage car elle est rudement bien située. Et si j’avais prévu une boucle depuis la station de Chaillol c’est ici que je reprendrais le GR. Mais aujourd’hui je mets le cap sur le Col de la Blache, direction Saint-Bonnet-en-Champsaur pour attraper mon bus. Avec, jusqu’au bout, la vue sur les crêtes parcourues aujourd’hui, et des images plein la tête. Décidément, ça valait vraiment le coup d’être revenue tout exprès dans le Champsaur !
Photos
Auteur : CourtePatte
Avis et commentaires
Busstop : merci !
Je n’avais pas réalisé que ma gourmandise naturelle transparaissait jusque dans mes textes. Plus qu’à assumer. Tant qu’on ne me dira pas que mes comptes-rendus sont indigestes…
Hereme : c’est ça qui est extraordinaire avec ces grès. Ils se prêtent à toutes les stimulations de l’imaginaire. Du coup tu m’as fait re-regarder cette photo et maintenant je ne peux plus m’empêcher d’y voir...un crâne !
#13 : le surveillant des lieux ?
C’est une première ! Je viens de picorer quelques uns de vos topos juste pour le goût surprenant et souvent gourmand de votre plume qui randonne sur des monts en gum à mâcher, laisse le regard du géologue amateur glisser dans les plissés des pruneaux... j’en passe et des meilleurs. Merci !
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