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Vallée d’Aspe.
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Itinéraire
Rando au cœur d’un magnifique massif menacé par les projets d’expansion inconsidérés des stations de ski de Formigal et Candanchu.
Le 14 Juillet 2004 tombant un mercredi, je décidai de prendre la semaine entière, pour randonner dans les Pyrénées. Comme à l’accoutumée, en de telles occasions de séjour prolongé, je décidai d’en profiter pour jeter mon dévolu sur une région lointaine, où je n’ai pas souvent l’occasion de me rendre.
Que choisir : l’Ariège profonde, les Pyrénées Catalanes, Vénasque ? Après réflexion, je choisis la vallée d’Aspe. J’ai commencé il y a quelques années ma découverte de la chaîne, d’un point de vue "montagnard", par ce côté là. Depuis, les magnifiques Pics d’Anie du Visaurin m’ont laissé un goût d’inachevé, me disant "Il faudra que tu y retournes", les quelques fois où, perché sur quelque sommet jouxtant l’Ossau, je me tournai vers l’Ouest.
J’élaborai un programme chargé, mais dont une moitié fut réussie à des degrés divers, selon les aléas météorologiques. L’autre, que je retiendrai ici, est ce triplet de randonnées haut en couleurs, sur le versant Est de la Jacetina, le pendant espagnol de la vallée d’Aspe. Initialement prévu en bivouac sur trois jours, deux amis et moi décidâmes d’effectuer ce circuit visitant respectivement l’Anayet, la Pala de Ip, puis la Collarada.
Tandis que la première nuit était assurée dans l’une des deux cabanes du vallon d’Izas, le lieu et les modalités du deuxième bivouac, dans la vallée d’Ip, étaient plus indécis. Nous organisâmes en conséquence une répartition des véhicules, afin de pouvoir retourner au camping et faire la Collarada séparément (ce que nous fîmes).
I. Le Vertice d’Anayet
Le secteur Anayet-Ossau est exceptionnel dans les Pyrénées pour une multitude de raisons, mais surtout sa géologie. En descendant du col du Pourtalet, on aperçoit au loin à droite des pierriers aux teintes pour le moins inhabituelles : rouge ocre, jaune, voire même noirâtres, comme des brûlures. Et pour cause ! Il s’agit du seul endroit volcanique des Pyrénées. Plus nous convergeons vers l’Anayet, plus les pentes sont jonchées de raillères de basalte. Sur les tâches sombres, nous trouvons même des roches de consistance spongieuse, cicatrice d’un passé tumultueux, qui ne trouvent d’équivalent en France qu’en Auvergne.
L’année d’avant, j’avais tenté d’atteindre l’Anayet par ce côté là, via la vallée d’Espelunciecha, avant d’être stoppé au niveau des lacs par une météo menaçante. La randonnée du jour, par le Canal Roya côté Ouest, me procurait une nouvelle occasion en variant l’itinéraire, réalisant symboliquement une jonction Somport-Pourtalet.
Cette longue vallée en forme de spirale nécessite quelques heures de marche avant de parvenir dans l’ultime cirque, où des méandres marécageux se répandent dans une herbe scintillante. C’est au-dessus de ce balcon, après quelques lacets raides, que se situent les lacs d’Anayet.
Comment décrire le site ? Dans un amphithéâtre de montagnes dont les plissements sont aussi écarlates que la terre sur laquelle repose ce golf anglais, gît nonchalamment une vaste nappe d’eau, aux contours hésitants entre tourbe et presqu’îles. Dedans s’y reflètent la silhouette du lointain Pic d’Ossau, vue ici du Sud, et celle du Pic d’Anayet : Un mastodonte grisâtre de lave figée, comme un couteau planté par en dessous, et qui aurait imbibé le sol de sang. À cette époque de l’année, il est fréquent d’y trouver un troupeau hétérogène de chevaux et vaches, flânant dans ce grand espace aux airs d’Amérique. Nulle image n’illustre si bien la liberté.
Le col entre "les" Anayets, car il y a le "Vertice" et le "Pic", se situe entre ce dernier, et le point culminant des plissements ocres. Contrairement à ce qu’inspire son nom, le "Vertice" est le moins vertigineux des deux. Nous remontâmes à travers le creux se faufilant jusqu’au col, puis suivîmes l’arête du Vertice, étonnamment chapeauté lui aussi de basalte sur les derniers mètres. Le sommet nous révéla la vaste vallée herbeuse d’Izas, et la grande muraille calcaire des Pala de Ip et Peña Telera. La Peña Collarada du surlendemain dépassait elle aussi derrière. Quel planning !
Malgré nos efforts, nous ne parvînmes à distinguer que l’une des deux cabanes, celle au fond de la vallée. L’autre, soi-disant perchée sur un ressaut, demeurait invisible. Après avoir mangé, puis savamment disserté sur le panorama, nous choisîmes de suivre un instant la crête rouge, menant au Pico Royo. Mais les dos d’âne de plus en plus pénibles nous incitèrent à prendre le raccourci direct dans la vallée, à travers de sauvages pentes herbeuses.
La cabane d’Izas nous attendait, mais nous réserva une bien mauvaise surprise : au sol inégal, jonchée de détritus, elle faisait penser plutôt à une étable. De plus, les bovins environnants semblaient s’être épris d’une profonde amitié pour nous, ce qui nous incita à partir au plus vite à la recherche de l’autre, la cabane de la Vuelta de Izerias.
II. La Pala de Ip
En franchissant le cours d’eau, les roches ocres cédèrent brusquement la place aux éboulis crayeux de la Pala de Ip, et le sentier s’engagea dans un cirque. Parvenus à la corniche droite, il s’évapora, pour dévoiler brusquement derrière la butte une petite maisonnette en béton. L’emplacement était spectaculaire, bien que pauvre en bois et en eau.
Par chance, un filet s’écoulait d’une falaise au-dessus de laquelle un névé devait fondre, et nous saccageâmes un arbuste mort pour faire un feu. Pas sûr que les suivants aient cette chance ! Une surprise nous attendait, en poussant la porte de métal : une marmotte était emprisonnée à l’intérieur ! Elle avait dû se faufiler à travers la fenêtre sommairement murée de pierres, et rester piégée. Après lui avoir dressé maints portraits, elle se faufila par la porte et disparut.
Nous eûmes tout le loisir de suivre le coucher de soleil, accompagné de la formation de brumes sur la Pala de Ip. Les sifflements du vent violent durèrent toute la nuit, malgré tout le confort de cette cabane simple mais propre.
En poussant la porte, le lendemain, c’est un sanglier qui détala à toute allure, vers le sentier que nous devions emprunter. L’étage suivant, étrangement, nous réservait un lac. L’Ibon Saman, ou d’Izerias, dont le niveau incertain trahit un fond poreux, dort dans un entonnoir. À l’opposé, à l’extrémité la plus éloignée du vallon asséché, apparaît un col qui donne accès au haut de la grande arête.
Deux éminences surplombent la muraille d’Ip : la Pala de Ip, point culminant, et la Moleta, à l’ouest. À l’image de son nom, cylindrique et plate, elle est comme posée tout au dessus, et une vire spectaculaire permet d’en faire le tour. Nous surplombons littéralement Canfranc et la toute la vallée. Quel point de vue !
L’arête qui va à la Pala de Ip est large, longue, et très impressionnante. Surtout à droite, où apparaît le Cirque d’Ip, son lac de retenue, et la dolomitique face Nord de la Collarada.
Le sommet de la Pala de Ip vient casser l’uniformité de la crête : nous devons poser les mains à l’occasion d’un rétrécissement, avant de pouvoir attaquer la montée sur l’hospitalière pente Sud. Je réalise alors soudain qu’en-dessous, c’est le mur tel que nous l’avions vu depuis l’Anayet. Autrement dit, 500 m de vide ! Mais le comble est à l’arrivée, lorsque nous découvrons qu’un randonneur, accompagné de son berger allemand, nous a précédé...
Difficile de dire laquelle des deux proéminences est le sommet de la Pala de Ip, c’est pourquoi nous allâmes aux deux. Celle de l’est nous offrit une superbe vue sur le pinacle escarpé de la Punta Escarra, et le Campanal d’Izas tout en bas dans la vallée. Au loin, un éventail de pics, de l’Ossau au Balaïtous, grisâtres à travers un air lourd.
L’après-midi loin d’être terminée, nous envisageâmes un instant le projet fou de faire la Collarada dans la foulée, via son raide couloir pierreux au nord, abandonnant provisoirement nos sacs dans le cirque d’Ip. Mais la vue des premiers cumulus, et des jambes déjà lourdes nous firent changer d’avis. Nous descendîmes alors dans le cirque d’Ip, perturbant momentanément un trafic de moutons, que le berger aragonais et ses deux chiens s’évertuaient à rassembler.
Là, nous abandonnâmes aussi l’idée de bivouaquer : aucun des innombrables bâtiments en ruine de l’ancienne centrale électrique n’invitait à passer une nuit sereine.
Je ne peux clore ce paragraphe sans être scandalisé par l’état dans lequel a été laissé ce remarquable site naturel. Outre ces trois ou quatre constructions qui pourrissent sur place, carreaux cassés, tôles flottant au vent, toitures éventrées, la zone est également jonchée de débris divers sur quelques hectares : bobines électriques, bidons, tuyauteries, morceaux de câbles. Sans compter ceux de nature non identifiable, mais certainement peu biodégradables (faut-il préciser : dangereux ?). Ajoutons enfin que la bêtise attire la bêtise : certains recoins recèlent ordures, sacs poubelles, bouteilles cassées et canettes à n’en plus finir. Un projet de restauration est paraît-il à l’étude, pour le bâtiment principal, certes le moins laid, afin d’en faire un refuge-hôtel. Si sa rentabilité à long terme couvre les frais qu’engendreront la réhabilitation du site, souhaitons que ce projet voie le jour...
III. La Peña Collarada
Comme nous décidâmes de retourner à notre quartier général, le Camping Municipal de Lescun, la Peña Collarada serait l’objet d’une randonnée à la journée. Le couloir raide que nous avions entrevu au nord, et remonter la longue vallée d’Ip, ne nous inspiraient guère. C’est pourquoi nous décidâmes d’emprunter son itinéraire par le sud. Celui-ci présente deux inconvénients, assez contradictoires : alors qu’il vaudrait mieux partir tôt, aux premières aurores, pour ne pas souffrir sous un soleil de plomb, il est nécessaire de passer avant à la mairie de Villanueva, pour obtenir une autorisation d’emprunter la piste.
L’interdiction est loin d’être théorique : les 4x4 de la Guardia Civil ne sont pas rares dans cette région, pour distribuer des contraventions ! Seulement voilà, nous sommes en Espagne... Ce matin là, nous étions 4, à patienter dès 8h45 dans la ruelle pavée du "centre ville" de Villanueva. Ce n’est qu’à 9h10, après que la cloche eut fini de sonner, qu’une employée municipale, apparemment déjà là depuis belle lurette, nous ouvrit !
Après un rallye de Chypre, le frein à main était finalement serré dans l’épingle de la piste vers le « Mirador », à 10h. La course contre la montre, ou plutôt contre un probable orage de fin d’après midi, pouvait commencer. Nous nous engageâmes sur le sentier qui, après avoir dépassé deux cabanes, se faufilait dans une ravine. Nous quittions des pâturages de plus en plus épars, à travers un décor karstique de plus en plus nu, similaire aux Arres d’Anie, ou voire pire, au Cotiella. L’itinéraire que nous avions choisi pour la montée était le plus à l’est, celui que surplombe la Colladaretta, antécime ressemblant à s’y méprendre à la Collarada.
Nous arrivâmes au pied d’une petite falaise où un pas délicat permettait de passer à l’étage du dessus. Nous avions déjà bien entamé nos provisions d’eau, et nous fîmes une pause pour remplir les gourdes. Tour à tour, nous adoptâmes une position acrobatique, pour capter dans le goulot les gouttes d’eau qui ruisselaient de quelque résurgence de la paroi. L’opération dura plusieurs dizaines de minutes ! Un délicieux parfum de menthe se dégageait de quelques feuilles piétinées par mégarde, là où les gouttes s’écrasaient. Comment mieux décrire les Pyrénées espagnoles que par cette odeur, mêlée à celle des épineux et du silex, omniprésents dans ce chaos aride ?
Nous débouchâmes sur un ultime parterre herbeux, puis dans un creux qui recelait un grand névé. Une sévère ascension s’ensuivit, à travers des éboulis oranges, qui nous mena au col surplombant le Cirque d’Ip, juste à l’arrivée du couloir Nord. Nous suivîmes enfin la crête, sous une chaleur éreintante, pour parvenir au sommet.
À 2883 m, il est l’un des plus hauts de la région, et offre un point de vue de tout premier ordre sur cette région d’Aragon, parfois surnommée "les Dolomites Pyrénéennes". Il suffit de jeter un œil sur la perspective qui s’offre à nos yeux, d’est en ouest : la Tendereña, la Peña Telera, la Collarada, puis le Pic d’Aspe, se succèdent tels des dents ciselées, sur cette gigantesque vague calcaire pétrifiée. On la distingue d’ailleurs sans peine sur les photos satellites.
Fantaisie de la nature, en contrebas du sommet à l’ouest : quelque part au milieu de ce chaos de strates calcaires se dresse une surprenante arche naturelle. Nous l’apercevons depuis l’"autre" sommet de la Collarada, comme son nom l’indique. Comme le ciel était encore peu chargé, nous décidâmes de descendre de là par notre variante ouest. Une descente tout schuss dans les éboulis nous déposa sur un vaste plateau, tout au bout duquel, au loin, se situait une cabane. Mais nous nous bifurquâmes vers le creux d’une ravine naissante, qui comme le topo indiquait, était celle qui nous ramenait à bon port.
Les pins, puis une végétation plus abondante, réapparurent, bienvenus car le soleil commençait à peser. La descente, parfois clairsemée de cairns, se faufilait astucieusement dans ce dédale. Puis nous regagnâmes la piste, et le véhicule.
IV. Conclusion
C’est vers le Pic d’Aspe, entrevu la veille, que je décidai de parachever mon séjour en solitaire. Mais comme pour l’Ansabère et ma tentative au Castillo de Acher, la météo en décida autrement, concédant la simple matinée. Cela me suffit pour atteindre le col, en ayant parcouru au préalable la moitié inintéressante qu’est ce grand chantier de la station de Candanchu. Tout n’est que pistes, aplanissements et remblais, fraîchement sortis de terre, comme semblant défier les lois de l’érosion.
Une question se pose à moi : jusqu’où, par quels moyens, et à quel coût ? Ces écorchures m’inspirent encore plus de douleur que les laves de l’Anayet, pourtant surgies avec ô combien plus de violence il y a quelques millions d’années...
Et pourtant, Candanchu n’est pas la pire : la vallée d’Espelunciecha, de l’autre côté de l’Anayet, sous le col du Pourtalet, celle-là même que j’ai remontée l’an passé lors de ma première randonnée, n’est tout simplement plus. Dévorée par l’ogre Formigal. Mais quel est le but d’Aramon, la holding qui gère les deux stations ? Il faut se rendre à l’évidence : malgré rumeurs et démentis en tout genre, c’est bien le site volcanique d’Anayet, avec ses lacs, qui sépare les deux.
A-t-on le droit de transformer la montagne à notre gré, au nom du seul prétexte que l’offre répond à la demande ? Les défenseurs du ski diront que oui, car si la montagne n’est ni réservée exclusivement au skieur, elle ne l’est non plus au randonneur, client certes moins consommateur. Et il est connu que toute zone concernée par le moindre projet d’aménagement a la fâcheuse habitude de devenir la plus belle du monde la veille des travaux...
Mais ne devons-nous pas nous interroger sur la légitimité d’une telle entreprise, dans une portion de la chaîne qui n’est pas réputée pour son enneigement, qui plus est versant sud, alors que les Pyrénées elles-mêmes subissent de plein fouet le réchauffement climatique ?
L’histoire a bien souvent montré que les transformations infligées à la nature par l’homme, surtout celles faites à la hâte et sans concertation, sont irréversibles. En témoigne le dépotoir du cirque d’Ip, et bien d’autres. Mais la démesure du projet de Formigal est sans précédent.
Les Pyrénées méritent-elles cette balafre ? Plus qu’une ode à la beauté du secteur Anayet-Ip, ce récit est un cri de douleur. Bien entendu, il pèse peu face à une avalanche de millions d’euros. J’espère néanmoins, par celui-ci, contribuer à alerter les opinions et faire changer les mentalités, avant que les tracto-pelles ne passent à l’offensive...
Eric Visentin
Article paru dans la Revue Pyrénéenne, printemps 2005
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Auteur : Eric
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