Sortie du 20 août 2024 par François Lannes Tête de Monvoisin (2164m)

Le grand fabuliste avait écrit : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ! ». Du coup cette affaire à la Tête de Monvoisin pourrait inciter à écrire maintenant : « Rien ne sert de se précipiter, il faut partir du bon point ! »

Itinéraire, carte // Fiche topo

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Conditions météo

Une journée parfaite, avec un ciel bleu uniforme, sans nuage et sans vent…

Récit de la sortie

Atteindre la Tête de Monvoisin, au Rissiou, fut bien plus coriace que je n’avais pu l’imaginer ! Il faut dire que presqu’aucune information ne filtrait à propos du cheminement à suivre.
Mais j’avais choisi d’en faire un objectif pour mes randonnées de l’été 2024.
Alors voici le récit – un peu long, je vous le concède – des évènements, tels qu’ils se sont enchaînés, et dont le résultat ne fut positif que parce quelques « coups de pouce » du hasard, bien positionnés, ont favorisé l’entreprise.

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Le Rissiou est une montagne à part.

Cela commence déjà par sa géographie.
En effet, ni le massif de Belledonne, ni celui des Grandes Rousses, pourtant l’un et l’autre contiguës à lui, n’ont réussi à l’intégrer dans leurs girons. Une profonde vallée – l’Eau d’Olle – et un col d’altitude moyenne – le col du Sabot – forment des séparations évidentes d’avec ces deux massifs.

Si l’on examine ensuite les accès, on constate que les routes – celles qui sont goudronnées – sont cantonnées au fond des vallées, et qu’aucune ne s’attaque sérieusement à ses flancs. Quelques pistes forestières existent quand même, à l’état carrossable parfois bien rustique. Mais elles contournent la montagne dans le bas, à l’étage inférieur, et sans oser monter en altitude.
Quant aux derniers accès possibles, les plus petits, les sentiers, certains subsistent, épisodiquement, si les agents de l’ONF ont le temps et le budget pour les entretenir. Mais ces sentiers sont rudes, certains même très rudes. Ils sont faits par les chasseurs, ceux qui ont encore le courage et la force d’aller là-haut, sur ces flancs austères, tels de vrais montagnards qu’ils sont.

Regardons maintenant les habitations humaines.
Seul sur toute la périphérie du Rissiou, existe le village de Vaujany, dans le versant sud.
Comme toute présence montagnarde, Vaujany connut une certaine importance au XIXème siècle, le siècle paysan, mais cette importance a fondu depuis. Et l’activité d’aujourd’hui est principalement liée aux loisirs, en particulier le ski, pratique en fait orientée vers le massif des Grandes Rousses, et donc tournant le dos au Rissiou.

Pourtant ils sont rares les versants de montagne qui n’ont pas connu l’implantation des hommes, que ce soit par une ferme, ou une bergerie, voire un simple abri. Mais non ! Sur le Rissiou, nulle construction qui se voit encore, aujourd’hui. Rien. Seules, quelques ruines persistent, envahies par la végétation, et dont ce qui fut la toiture est tombée au sol depuis longtemps, disparaissant à rythme lent. Quelque ancien abri de berger, ou plus probablement de chasseur, construit en pierres sèches, résiste faiblement, ici ou là, mais sombre malgré tout dans l’oubli et l’éloignement.

Il y eut une construction industrielle, à l’époque de la houille blanche. Mais il n’en reste que les murs de pierres, ceux que les bâtisseurs n’ont pas eu le courage de démolir lorsque l’exploitation fut finie. Car les conduites forcées – elles, en tubes métalliques par lesquels l’eau plongeait vers la centrale électrique – ont toutes été démontées.
Une autre installation industrielle existe, moderne, liée au barrage de Grand-Maison, qui consiste en un rébarbatif ensemble de béton, grillagé par sécurité, et inhospitalier au possible : la cheminée d’équilibre, située au Collet. Elle n’apporte aucune vie en surface même si elle est très utile en profondeur.

Voilà.
C’est ainsi que m’est apparu cette montagne, lorsque je l’ai étudiée.
C’était après avoir lu un récit de CourtePatte.

CourtePatte avait fait une traversée tout à fait audacieuse du Rissiou, montant par l’arête côté sud, et descendant par le versant nord, une traversée qu’elle s’était en quelque sorte inventée, car rien n’était écrit à ce sujet auparavant. Dans un récit épique, coloré, CourtePatte avait décrit cette montagne d’une façon qui m’avait retenu immédiatement. Elle évoquait des chemins à l’abandon, des sentiers nécessitant l’usage d’un sécateur afin de pouvoir les emprunter…

Ces mots-là ont provoqué un électrochoc en moi, car cela fait quelques temps déjà que cette restitution à la connaissance – celle des vieux sentiers souffrant d’abandon – constitue un fil directeur important des sorties que je m’organise en montagne. Et là, un terrain d’application se présentait qui coïncidait parfaitement avec l’envie de faire et avec les convictions d’une fin de pratique de montagnard.
Le Rissiou… ?
Un chapitre nouveau à ouvrir… ??
Une source nouvelle, pour une passion ancienne… ??
Une… ???

L’hiver 2023-2024 fut employé à connaître la montagne.
Les cartes… Les photos aériennes… Les topos, quasi inexistants…
Des projets pour monter jusqu’à la Tête de Monvoisin furent imaginés, parfois ambitieux, très ambitieux même. Voire inconscients…
Ce furent ces projets qui structurèrent le programme 2024.

L’attente des beaux jours fut longue, beaucoup trop longue.
Je n’en pouvais plus d’attendre.

La mi-printemps m’a vu me précipiter, tête baissée, dans le versant nord encore largement enneigé. C’était la première façon d’essayer d’aller à la Tête. Mais le versant était garni de gros névés, issus d’avalanches venues de tout en haut, névés qui empêchèrent dès le premier quart d’heure de la randonnée d’avancer plus loin : à peine entamée, la tentative était rejetée. C’était la façon que le Rissiou prenait – un revers de main royal – pour me faire comprendre qu’il ne fallait pas voir les choses si simplement ; et qu’il méritait d’être abordé avec plus de respect, plus de sérieux.
Évidemment !
Il était tellement évident qu’en versant nord, la date était bien trop tôt en saison…
La fin avril… !
Bien sûr !
Le reste de la journée fut alors consacré à la visite des pistes inférieures, sous le couvert forestier.

Ce faisant, j’arrivais au lieu-dit Monvoisin, où se trouvent les installations désaffectées d’un réservoir hydraulique et de son ancienne conduite forcée. Par approches successives, d’abord par un petit mur maçonné qui se découvrait, puis par un chalet qui se faisait voir, enfin par le fameux réservoir aux murs hauts et aujourd’hui volontairement éventrés, l’inventaire des lieux était dressé. Le hasard m’avait mené au bon endroit.
Le hasard… ??

Poussé par une curiosité dont je me demande encore d’où elle est tombée, je contournais ce réservoir en longeant ses murs, trouvais à l’extrémité opposée un bout de sentier balisé, le suivais, et arrivais à un embranchement avec un autre sentier. Ce second sentier – à peine marqué au sol – était par contre fort bien indiqué avec de nombreux ronds blancs et rouges. Il partait droit dans la pente, vers le haut…

Parmi les hypothèses élaborées au cours des études de l’hiver, il y avait celle qui remontait cet éperon nord-ouest de Monvoisin – celui-là même où je me trouvais à l’instant. Cette façon pouvait possiblement mener à la Tête de Monvoisin : c’était la deuxième hypothèse afin de la rejoindre. Il n’y avait qu’à suivre ces marquages, pour savoir où ils menaient exactement.

La partie était rude !
Ce sentier – ou plutôt cette trace – ne s’embarrassait pas de fioritures : elle allait tout droit vers le haut.
Les passages devenaient parfois même très acrobatiques. Au point que trois câbles avaient été installés dans un secteur trop raide et trop glissant.

N’étant pas préparé psychologiquement à emprunter un tel parcours du combattant, le moral fléchissait. Le souffle aussi, subissait l’impact. Finalement, c’est la neige qui – vers 1750 mètres d’altitude – recouvrant maigrement et traîtreusement les premiers pierriers, sonna la fin de partie, une seconde fois aujourd’hui, ce qui me permis de battre en retraite avec les honneurs : c’étaient les éléments qui imposaient cette fin, et non le bonhomme qui lâchait prise…
Maigre consolation !

Le choc de cette rude montée avait été gros, alors qu’un tiers seulement du parcours en avait été franchi ce jour-là. Qu’en serait-il pour la totalité ?

Vers la mi-juin, s’organisa une nouvelle tentative au Rissiou, dans le versant ouest cette fois.
J’ai raconté ici comment s’est déroulée cette journée : elle fut positive, mais sévère malgré tout.
La forme physique n’était pas encore assez au point et du coup j’ai souffert là aussi. Mais surtout, j’ai touché du doigt lorsque – tout au bout du chemin – cette montagne a montré combien elle était difficile.
Ici, quand tout sentier s’est éteint, quand la végétation basse et les roches cristallines deviennent les maîtresses des lieux, quand les travers deviennent trop pentus, la progression est un vrai combat. Chaque pas doit être calculé, maîtrisé ; et malgré les précautions, rien n’est pourtant garanti : il suffit d’une petite touffe de rhododendron, ou d’une branche humide cachée sous l’herbe, et vous voilà glissant d’un bloc, perdant l’équilibre, jeté au sol sèchement, la fesse endolorie… dans le meilleur des cas.

C’est après qu’une telle chute se fut produite, qu’une peur fine s’insinua dans l’esprit car, compte-tenu de l’éloignement et de l’absolue solitude du versant, la foulure d’une cheville, ou pire l’entorse d’un genou signifieraient de graves difficultés. Et l’insistance à continuer quelques mètres encore, jusqu’au prochain éperon, pour voir comment est la suite derrière, s’effilocha à grande vitesse. Dans ces instants-là, la limite entre le courage et l’inconscience devient si mince que l’on ne sait plus s’il faut réfléchir et raisonner, ou s’il faut fuir le plus vite possible de ces lieux qui prennent la tournure d’un piège potentiel…

De mes souvenirs anciens, et des acrobaties exécutées alors, me restait une impression vague qu’il était possible de traverser n’importe quel versant dans l’étage subalpin, c’est-à-dire l’étage au-dessus des forêts mais qui n’est pas encore uniquement rocheux. Il fallait bien constater, aujourd’hui, que cette idée-là était complètement erronée et que, faute d’un sentier établi, rares seraient les personnes capables de s’aventurer dans de tels versants.
En tout cas, je ne participais plus de cette catégorie de personnes, et il n’était plus possible de m’engager dans cette traversée d’un kilomètre de long hors de toute trace. Et avec le retour à faire, ensuite…
Le demi-tour s’imposa.
Ce qu’il fallait savoir du terrain avait été compris, maintenant.

Cette sortie constituait la troisième hypothèse pour tenter d’atteindre la Tête de Monvoisin.
Mais là encore, cela avait fait « choux blanc ».

Un peu plus tard, l’occasion s’est présentée de croiser les agents de l’ONF qui s’occupent de la forêt domaniale de Vaujany. Ce sont eux qui sont en charge de surveiller les forêts, d’entretenir aussi les sentiers quand ils le peuvent. Concernant les sentiers, le problème de l’entretien découle pour une bonne part d’une question de budget. Et, quand les finances ne sont pas disponibles, cela signifie que les sentiers dont il s’agit peuvent du coup n’être nettoyés qu’une fois tous les trois ans…
C’était donc là l’explication à la mésaventure de CourtePatte qui, en descendant du Rissiou par le versant nord, fut immergée sous une végétation tellement dense et haute de fleurs et de plantes diverses, qu’elle n’en voyait plus le sentier à ses pieds. Comme elle l’écrivit dans son compte-rendu : « Je ramasse tellement de graines et de poussières que j’ai sûrement pollinisé toute la montagne » !

Après les fortes chaleurs du début août, une nouvelle sortie fut enclenchée, en choisissant à nouveau l’éperon nord-ouest de Monvoisin. Il était clair que ce ne serait pas une balade de tout repos, mais j’étais préparé à cela.
La première partie, en forêt, avait déjà été déflorée et la difficulté tiendrait, pour cette partie-là du moins, seulement dans l’effort physique à fournir. Ce n’était pas sans contrainte mais au moins le moral était averti.
Le point le plus-haut-connu fut atteint, puis dépassé, et l’exercice continuait encore. Fort heureusement les balisages restaient toujours très nombreux, ce qui enlevait le stress de l’itinéraire à décrypter, car la trace restait toujours très menue, elle.

La pente faiblit un peu.
Quelques petits pierriers commençaient à se mélanger à la forêt de pins, mais comme il s’agit ici de granite, la taille grosse des cailloux rendait ces pierriers pas trop pénibles. Les lieux prenaient belle allure et, par quelques trouées dans les arbres, se montraient les montagnes du versant d’en face : Belledonne.
Quel panorama !
Une journée parfaite se mettait en place, avec un ciel bleu uniforme, sans nuage et sans vent…
Pourtant je n’arrivais pas à me décontracter.

Voici un premier grand pierrier.
C’est visiblement aussi la sortie de la forêt.
J’ai beau chercher, je ne vois plus aucun marquage, ni blanc ni rouge… ??
Quant à la trace elle-même, elle se dissout complètement dans ce fouillis de blocs.
Un moment de réflexion, d’observation aussi minutieuse que possible, ne changea rien à la situation. De toute façon, dans les rhododendrons sur les côtés, la marche parait impossible. Il faut donc opter pour remonter par le pierrier dans son centre, cela n’a pas l’air trop compliqué.

C’était la bonne décision.
En haut de ce petit vallon, un embryon de trace recommence, qui part vers la gauche et que j’emprunte avec soulagement. Mais cet espoir est vite déçu car la suite est encore un pierrier, le second, et bien plus grand que le premier cette fois. Là, à nouveau, aucun repère n’est visible pour conforter un choix d’itinéraire. Une fausse idée me fit partir dans une impasse, progressant dans des travers de plus en plus aléatoires et dangereux. Forçant encore un peu mes pas, je finis par conclure que j’étais dans l’erreur et que le demi-tour devait être envisagé.

Revenu au bas du second pierrier, il n’y a pas d’alternative : c’est droit dans les pierres en cherchant les blocs les mieux en place et qui ne bougent pas. Moi qui ne connaissais que très peu ces pierriers de granite, ne les ayant pratiqués qu’au Clos de Cornillon, il y a deux ans, je suis bien surpris, mais agréablement. Toutefois, ce parcours d’acrobate, qui pourrait ressembler à un jeu si l’on n’était pas si loin en montagne, est à prendre très au sérieux car – ici – il faut absolument ne pas se faire mal. Donc je reste très concentré et ce n’est plus un jeu…

L’accès à la brèche est évident, et d’une escalade facile.
Une fois sur la crête rocheuse, à nouveau la trace est marquée au sol. Il n’y a plus qu’à la suivre. La pente est quasiment finie, et ce passage en équilibre sur un fil assez étroit, sans vent, est une vraie « régalade » !

La fin est proche. Le champ des végétations basses qui est atteint annonce le replat terminal, mais je ne vois toujours pas la Tête.
J’avance…
Enfin, j’y suis !
C’est une explosion de joie !

La descente m’inquiète.
Il ne faut pas tarder, malgré toute l’envie que j’ai de rester encore plus longtemps sur ce « paradis ».
La chemise a séché. Je peux la renfiler, ainsi que le sac à dos.

Sur la crête finale, la descente commence bien, facilement. Il faut prêter attention aux pas à faire, évidemment, à l’équilibre sans faute à maintenir à chaque instant. Mais cela va bien.

Les deux pierriers nécessitent beaucoup de précautions. L’ensemble des blocs a l’air d’être stable. Les pierres sont grosses, ce ne sont pas les cailloutis fins du calcaire, et elles sont coincées entre elles. Mais il en suffit d’une seule qui bascule au moment où le poids se pose sur elle pour que l’accident se produise. Et ça, je ne le veux surtout pas. Alors l’avance est lente, prudente.

Dans la forêt, le sol a un peu séché, et les inconvénients de glissades de ce matin ont en partie disparu.

Arrivé à la voiture, je suis fourbu.

Cette journée a été remplie d’efforts, et la satisfaction de n’avoir rien d’esquinté est grande. Il n’y a eu que deux erreurs dans cette descente : une glissade sur des rhododendrons, en haut, et une autre sur une racine à moitié enterrée, plus bas en forêt. Les deux fois, je suis tombé sur les fesses, sans dommage heureusement.
Mais ce furent deux fois de trop quand même.

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Randonnée réalisée le 20 août

Dernière modification : 20 septembre 2024

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Avis et commentaires

Bonsoir CourtePatte et vermatoiz,

Merci de vos commentaires agréables !
C’est vrai que cette cabane m’a donné du mal pour l’atteindre.
Mais quand j’ai écrit ce CR, le plaisir est ressorti, grand et fort ...
Donc tout va bien.
Et quand je pense qu’il y a encore un peu de grain à moudre dans ce secteur...... j’en suis fatigué d’avance ! !

Et comment que cela fait envie !!!
Bravo pour ce parcours sauvage et pour la narration passionnante que tu nous en fais ! Pense à t’inclure une fois dans les beaux textes, on ne t’en voudra pas !
Je n’habite pas si loin, mais la complexité du parcours me retient un peu....

Merci pour ce récit !
Le topo est si richement détaillé que l’on ne mesure pas forcément les efforts qu’a nécessité son exploration. Voici qui en donne une meilleure idée !

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