Marble Peak (6400m)
- Alpinisme
- Kazahkstan
- Glacier - Sommet mythique
- Difficulté :
- Alpinisme AD
- Dénivelé :
- 3100m
- Durée :
- 3 jours et plus
Le Marble Peak est vraisemblablement le 6000 le plus septentrional de la chaîne asiatique. Son altitude officielle de 6400m est certainement exagérée, 6250m semblent plus proches de la réalité. Sa face nord est constituée par une muraille surplombante de plusieurs centaines de mètres de quartz qui lui donne un aspect caractéristique. La grande variété technique de sa voie normale et les conditions climatiques difficiles en font un sommet glaciaire d'envergure équivalent à un 7000 mètres dans l’Himalaya. – Auteur : Paul
Accès
Almaty au Kazakhstan, puis route jusqu’au Kirghizistan, camp de Karkara.
Hélico jusqu’au camp de base ou plusieurs jours de trek.
Photos
Les infos essentielles
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Itinéraire
Le Massif des Tian Shan se trouve aux frontières du Kazakhstan, du Kirghizistan et de la Chine. Ce massif regroupe deux sommets assez connus : le pic Pobieda (ou pic de la Victoire 7439 m), point culminant de la chaîne et sommet de 7000 m le plus septentrional de la planète, et le Khan Tengri (6995 m), superbe pyramide située 20 km plus au nord.
L’aspect mystérieux des montagnes du Tian-Shan Central a toujours excité l’imagination des nomades qui vivaient dans ces contrées. On s’en rend compte par les noms qu’ils ont donnés aux montagnes : Tian-Shan signifie "Montagnes Célestes" en chinois, Tengri-Tag - "Montagnes des Esprits" et Khan-Tengri - "Seigneur des Esprits" en langues turques.
Cette région encore peu explorée est réputée pour être la plus froide du Tian-Shan, avec qui plus est un climat très instable. Les mois de juillet et août sont les plus favorables pour tenter des ascensions même si, la plupart du temps, le soleil ne brille que jusque vers midi.
Dans les montagnes, la faune et la flore sont des plus originales. Dans les vastes steppes courent des antilopes ; les marmottes et les pikas servent de proies aux aigles et aux gypaètes barbus tandis que les quelques léopards des neiges chassent le bouquetin sur les pentes rocheuses. Les épicéas, les mélèzes et les genévriers des forêts du Tian Shan abritent des lynx, des loups, des sangliers et des ours bruns. En été, les fleurs sauvages offrent un véritable festival de couleurs.
Vidéo 2° partie
Voici mon journal de l’expédition
Mardi 3 août : Paris/Istanbul/Almaty
Rendez-vous à Orly à 8h00. J’arrive dernier avec 30 minutes de retard car les tunnels des voies rapides sont fermés et il faut traverser Fresnes.
On empile les bidons plastiques contenant le matériel de l’expédition sur deux chariots à bagages puis nous allons fébrilement vers l’enregistrement de la Turkish Airlines, conscients que nous dépassons de beaucoup le poids autorisé par la compagnie. Finalement le personnel de la Turkish est accommodant et ne nous fait pas payer de surtaxe.
Accueil en pleine nuit par notre jeune et jolie interprète qui s’appelle Darhia.
Après avoir chargé les bagages nous filons dans un minibus à l’hôtel pour 2h00 de sommeil.
Mercredi 4 août : Almaty (ex Alma-Ata)
Journée de ravitaillement pour l’expédition. Surprise ! Les femmes des rues d’Almaty sont très élégantes. Il y a les Russes dont la beauté n’est plus à vanter et les Kazakhes, habillées très sexy.
Après la visite de quelques monuments staliniens et de la cathédrale, nous prenons la direction des montagnes qui bordent la ville pour voir le stade de sports d’hiver. Il faut ensuite visiter le musée d’histoire naturelle. Je me traîne et préfèrerais un bon lit pour compenser cette nuit volée par le décalage horaire.
Jeudi 5 aôut : Karkara
Départ pour les Tian Shan. Nous quittons Almaty et ses faubourgs. Voilà la campagne assez verte et cultivée, des prairies, puis une steppe montagneuse aride. Nous prenons de l’altitude. Des montagnes pelées laissent place à des pâturages verdoyants, véritables paradis du bétail. Nous entrons en Kirghizie pour 7 km de piste défoncée et voilà Karkara notre 1er camp de base à 2200 m. Il y règne malheureusement une ambiance de catastrophe : il y a eu une chute de séracs ce matin au Kan Tengri qui a tué 11 alpinistes entre le camp de base avancé et le camp 1. Les drapeaux sont mis en berne et l’ambiance se refroidit nettement au sein du groupe. La TV de Moscou vient faire quelques rushes sur l’événement.
Vendredi 6 août : sommet d’acclimatation (3300 m)
Départ à 9h00 pour un sommet que l’on voit du camp. Nous gravissons un col, 440 m de dénivelé en 1h00 sans sentier véritable au milieu de hautes herbes, de gentianes et d’edelweiss. À 2800 m, un troupeau de chevaux passe près de nous. La montée au sommet est raide. Au loin nous voyons les Tien Shan, et nous devinons le Kan Tengri et le Marble Peak à la jumelle.
Retour au camp. Pas le temps de se reposer, il faut organiser les vivres qui doivent partir demain par hélico pour le camp de base avancé (ABC). Les réchauds au kérosène sont à améliorer, on ne peut pas dire que ça marche. On n’a pas de casseroles non plus. Les Russes ne veulent pas nous en prêter, ils disent qu’on les prendra au camp de base. Le départ en hélico pour le camps de base est prévu pour demain 10h00.
Samedi 7 août : Karkara
Il a plu toute la nuit. Au lever c’est bouché. En attendant que cela se lève nous somnolons au milieu des sacs, prêts à embarquer. L’inactivité se prolonge. C’est foutu, nous ne partirons pas aujourd’hui. Sous prétexte d’aller voir un troupeau de yaks qui passe le long de la rivière nous partons faire une balade. La pluie s’est arrêtée. Le soir, nous passons au sauna en compagnie d’une Japonaise qui ne s’éternise pas.
Dimanche 8 août : camp de base (BC) 3300 m
Nous sommes rassemblés avec les bagages et le matériel pour monter dans l’hélico. Il arrive enfin. Je ne vois pas comment nous allons pouvoir tous y monter avec le matériel qui est chargé dans la carlingue mais on vient s’entasser sur les bagages et l’hélicoptère démarre finalement avec 15 personnes et 2 tonnes de paquets, il monte difficilement à 3900m pour franchir un col et nous atterrissons au pied du glacier. L’espace est désert, où est le camp de base ? il n’y a rien mis à part une vague toile de tente blanche tenue, si l’on peut dire, par des poteaux de bois. Plus loin une tente deux places, c’est tout.
En une heure nous transportons le matériel vers divers emplacements destinés aux tentes. Dans certains sacs il y a des quartiers de viande fraîche, je le remarque en déchargeant : j’ai les mains poisseuses de sang… Les tentes sont montées, la tente cuisine avec la gazinière, la tente réfectoire puis l’emplacement radio et celui du groupe électrogène. Le Marble Peak est somptueux. À sa droite 3 sommets de 5600 / 5800 m. Nous sommes versant nord et les glaciers sont étendus.
Déjeuner vers 15h00 puis sieste. Je fais une courte balade en direction du glacier puis le temps se couvre, on entend le tonnerre.
Il pleut, grésil et pluie. Nous dînons dans la tente mess qui vient d’être montée. Au bout d’une demi-heure il y pleut et nous installons des piquets pour éloigner les ruissellements.
Lundi 9 août : col chinois (4000 m)
Lever à 8h30 pour une montée d’acclimatation le long du glacier jusqu’au « col chinois » par un petit sentier. Le long de la moraine, le sentier est quasi inexistant, on se dirige aux cairns. Belle vue sur le Kazakhstan Peak et le Bayankol Peak. Le temps est couvert. Nous abordons un passage sympathique, qui rappelle le Kilimandjaro : des éboulis et quelques gendarmes déchiquetés. Des pentes de lauzes rejoignent le col. Les alti montrent 4000 m. Nous déjeunons puis tout le monde redescend sauf Antony et moi pour une petite exploration des arêtes frontières avec la Chine. Un sommet attire notre attention au loin, est-ce le pic Pobeda ?. Ces sommets dépassent les 7000 m. Le ciel opaque s’obscurcit soudain et déjà des grêlons arrivent. Nous descendons rapidement retrouver le col car cela sent l’orage. Les sacs récupérés nous prenons la pente à pic dans le pierrier et nous perdons ainsi rapidement de l’altitude. Retour sous la grêle et la pluie au camp de base.
Mardi 10 août : camp de base avancé (4400 m)
Les sacs sont prêts et sont énormes, le mien particulièrement, plus de 20 kg, peut-être 25 kg avec une bouilloire pour l’ABC. Nous partons pour 1100 m de dénivelé, j’appréhende un peu…
Nous remontons la vallée en compagnie de Darhia qui nous abandonne lorsque nous abordons le glacier et une première corde fixe. Mourad taille quelques marches sur la pente de glace afin de faciliter le passage. Vient ensuite une long cheminement sur le glacier empierré avec, puis sans les crampons. C’est long, c’est dur.
De fortes pentes d’éboulis conduisent à une arête de mauvaises lauzes. Pratiquement pas de chemin. Sans les cordes fixes, difficile de tenir dans ces pierriers. Lorsque nous prenons pied sur l’arête, il reste encore 200 m de dénivelé. Le décor est enivrant. J’arrive enfin à l’ABC où l’on trouve une tente avec un plancher en bois et une gazinière. Il faut encore faire du terrassement avec une pelle pour agrandir les places de tente sur l’arête de glace. La mienne a un côté en pleine pente, j’y cale mon sac. Le soir tombe, ainsi que la neige accompagnée de vent. Nous préparons un bon repas dans une tente mess où l’on tient à peine à 7. Nous sortons régulièrement remplir de grosses gamelles de neige fraîche que l’on ramasse à la pelle. Première nuit en altitude, assez moyenne pour moi.
Mercredi 11 août : montée à 4900 m
Beau temps. Nous partons encordés en direction du camp 1 (C1). Il fait chaud et je souffre sous mon gore tex. Il n’y a aucune trace dans la montagne, on est vraiment seuls. Nous posons quelques cordes fixes et nous stoppons notre progression à l’altitude du Mt Blanc. C’est tout pour aujourd’hui. La descente est excellente, la neige est bonne et je file dans les rappels. Retour au camp de base avancé. Demain nous monterons au camp 1 avec les duvets et le matériel d’altitude. J’appréhende un peu. Nouvelle nuit à 4300 m, pénible malgré un stilnox pris trop tardivement.
Jeudi 12 août : camp 1 (5000 m)
En avant pour le C1 ! Ça monte pas trop mal, je tire autant que possible sur les cordes fixes. Je m’applique à bien doser le rythme. Je pose un pied, je souffle… dès que l’on perd le rythme le cœur s’emballe et on se met dans le rouge. Nous arrivons à la selle atteinte la veille et nous descendons vers un replat au dessous de séracs où nous casse-croûtons pas très bien positionnés à mon goût, au dessus quelques séracs menacent. Pour une fois les Russes sont plus prudents que nous : ils sont allés manger leurs sandwichs un peu plus loin. Les dernières pentes qui mènent au C1 sont superbes, 35° en bonne neige. Les autres sont devant et je fais ces 200 derniers mètres de dénivelé dans la solitude absolue, rythmés par le crissement de la neige et des coques. Un régal ! Le camp 1 est à 5000 m. Je mets ma veste en duvet sous le gore tex et deux paires de gants et je m’emploie au montage des tentes sous la bourrasque. Le vent constitue un vrai problème : l’un de nous maintient fermement la toile tandis que les deux autres mettent les arceaux et les fixent dans la neige. Les tentes tiennent enfin et nous y enfournons les sacs après avoir déployé deux couvertures de survie. La fonte de la neige commence illico sur le réchaud. Nous gardons les chaussons aux pieds.
La tempête redouble, c’est le brouhaha dans la tente qui est rudement secouée. Les autres à côté ont des problèmes avec le combustible au kérosène qui les asphyxie. Ils sont obligés de creuser un trou dans la neige pour faire leur eau à l’extérieur… L’angoisse.
Xavier me passe un Lyxansia, un décontractyl, c’est peut-être mieux que le Stilnox. Toute la nuit et à chaque rafale, du givre nous tombe sur le museau. Cela souffle sans arrêt.
Vendredi 13 : montée à 5600 m
Au lever du jour le vent faiblit à peine. À mon réveil, je découvre qu’il y a 40 cm de neige dans l’abside de la tente. Le matériel de cuisine est enseveli. Au moins n’aura t-on pas à sortir pour de la neige fraîche mais notre seul couteau est perdu. Nous déjeunons comme nous pouvons puis je m’équipe et je sors, je découvre un panorama magnifique sur le versant chinois. Enfin nous sommes prêts à escalader l’arête en direction du camp 2, avec des sacs légers. C’est du mixte avec quelques ressauts à 40°. Il y a du vent.
Stop à 5600 m. Contrairement au plan initial nous décidons de redescendre jusqu’au camp de base avancé pour mieux récupérer. Avant de partir, je laisse au C1 un collant en polartec et une grosse polaire que je n’aurai pas à remonter. Nous laissons également de la bouffe et du gaz. La descente est magnifique, loin des efforts de la montée, nous pouvons réaliser l’ampleur du décor dans lequel nous évoluons depuis trois jours. Bon repas le soir au mess où tout le monde est content. La nuit sera bonne également.
Samedi 14 : repos à l’ABC
Il fait très beau toute la journée, pas de vent. Le matin je fais fondre de la neige dans la cuisine et consacre 1 litre à une toilette personnelle, sur l’arête, en plein soleil, derrière les tentes. Quant à Daniel, il se roule à poil dans la neige en hurlant… Tout le monde se marre mais personne ne l’imite.
Excellent repas de midi : pâtes à l’huile d’olive + jambon cru + fromages apportés de France. Je passe la journée à essayer de me protéger du soleil, à me reposer et à discuter avec André et Jacques avec lesquels je partage la tente. Demain nous lançons l’assaut, j’essaye aussi de me motiver.
Dimanche 15 août : camp 1
Montée au C1 à 5000 m avec tout le matos sauf les tentes (une portée par les Russes et une par Daniel). Dans la montée, le long d’une corde fixe, Philippe qui se trouve au-dessus de moi s’emmêle les pinceaux avec ses deux bâtons et échappe son piolet qui glisse lentement le long de la pente vers une zone de crevasses. Freiné par la dragonne, le piolet s’immobilise dans la pente après 50 m de glissade. Je pose mon sac et descends le chercher. J’hésite à demander la corde car la zone est plutôt crevassée, finalement j’y vais avec précautions et récupère l’engin. Nous arrivons sur la large arête qui conduit au camp 1 alors que temps se couvre. Puis le vent se lève et nous arrivons sous les bourrasques. La nuit sera pénible, j’ai quelques perturbations énergétiques et un petit mal des montagnes.
Lundi 16 août : camp 1
Impossible de sortir, cela souffle trop (80 km/h). Nous décidons de reporter la montée au camp 2 à demain. Journée assez pénible ; bloqués dans les tentes, nous nous efforçons de sortir tout de même deux fois pour marcher un peu et uriner. Petit mal au ventre qui ne passe pas, je suis barbouillé et ne mange rien à midi, les lyophilisés m’écœurent. J’espère que ça va bouger demain.
Mardi 17 août : camp 2 (5700m)
Malgré le temps très moyen, nous décidons de monter au camp 2 (C2). « Si on n’y va pas aujourd’hui on ne le fera jamais ». Philippe martèle précipitamment le sol gelé de son piolet pour dégager les encrages des tentes, il se redresse plaintif avec un claquage musculaire qu’il soignera tant bien que mal avec des anti-inflammatoires. Xavier et moi nous le déchargeons un maximum du matériel collectif. Mon baudrier est complètement gelé car je l’ai laissé dans l’abside et j’ai un mal fou à le fixer, les mousquetons ne s’ouvrent plus. Le camp est démonté, péniblement. Nous laissons la tente des Russes qui en ont une autre pour le C2. La montée est raide sur l’arête qui devient de plus en plus fine. C’est de la neige puis du mixte.
Même si on s’y habitue un peu, les sacs sont assez lourds. Après une longue bataille dans le mauvais temps, nous arrivons au camp 2, les nuages s’éclaircissent un peu nous laissant deviner l’ambiance qui règne à cet endroit. Je plane…
Xavier et moi préparons un emplacement pour la tente à coups de chaussure, de piolet et de pelle, puis Philippe vient tenir la toile tandis que nous fixons les attaches avec des pierres. Je mets tout sous la tente : coques, baudrier… Je suis essoufflé et, même à l’intérieur, il fait un froid de canard. Quand nous enlevons nos chaussons, les chaussettes fument. J’en mets deux paires, en plus des chaussons, et le tout dans le duvet. Philippe qui a réussi à monter au C2 se place un pansement sur les lombaires. Ça a l’air d’aller.
Nous sommes persuadés d’avoir accompli la journée la plus dure de 5000 à 5700 m avec de gros sacs mais en fait rien n’est gagné...
Mercredi 18 août : sommet 6250 m
Réveil 6h30. Départ 8h00 pour le sommet On attend encore les Russes qui tardent. Pendant ce temps je me gèle les pieds. Nous formons deux cordées distinctes. Le temps est moyen et va vite se couvrir. Maître des lieux, le somptueux Kan Tengri émerge des nuages de ses 7000 m, spectacle qui vaut le voyage…
Nous partons à l’attaque de la première bosse, j’ai le sentiment que ça ira si la météo tient le coup. Il y a 700 m de dénivelés et nos charges sont légères. Mais ça monte et ça descend. L’arête sommitale est en terrain assez difficile et surtout elle est très longue, très cornichée à gauche et plusieurs ressauts de neige dépassent le 40°. L’un de nous glisse dans une crevasse, pas de mal… Daniel mousquetonne un piton sur une vire rocheuse expo. Je suis en tête de la deuxième cordée et j’enlève mes moufles pour utiliser les rochers en prises de main, c’est délicat. Philippe qui me suit, démousquetonne avec difficultés et n’ose pas enlever ses moufles qui ne sont pas attachées. On perd un temps fou et nous ne sommes plus assurés par le piton. Je redouble de concentration en contournant un bloc rocheux pour parvenir à un couloir de neige raide où traîne un brin de corde fixe. Je pense être sorti des difficultés mais ma poignée est gelée et je ne peux que tirer sur la corde avec mes moufles. La poignée de Philippe est gelée aussi. On n’avance pas. Daniel apparaît sur le faîte de l’arête et nous émoustille un peu. Je lui réponds en haletant qu’on fait ce qu’on peut, et que notre matériel est gelé.
La pente est enlevée, grâce à la neige qui est bonne et profonde ce qui fait que chaque pas est bien assuré par un piolet enfoncé à la garde. Par contre, plus haut sur l’arête, de petits couloirs de schiste se relèvent devant nous et nous obligent à des acrobaties. J’aborde l’un d’entre eux avec difficultés, j’essaye d’abord de saisir le rocher avec mes sous-gants mais les prises ne sont pas bonnes et je me gèle les doigts inutilement ; toute la neige de l’édifice a été balayée par la cordée précédente et mes crampons ne tiennent pas dans la pente. Je finis en grand écart à 6000 m au grand étonnement de mes camarades. Finalement je frappe le schiste tendre de mon piolet et ça tient. Une légère traction me propulse au-delà de cette difficulté bien embarrassante. Nous continuons en marchant sur les schistes car ça corniche tout de suite après. Daniel nous crie de le coller au maximum. J’essaye de lui répondre mais je ne peux que faire des mouvements de bras dans mon impuissance à trouver de l’oxygène.
Nous arrivons à un dôme où ils sont tous arrêtés. Je monte en soufflant fort et je vois que nous sommes sur le premier sommet à 6146 m. Il faut traverser. Nouvelle pente. Les pas se posent en rythme, je laisse le corps effectuer ces mouvements répétés et équilibrés sans évaluer notre progression. Puis… Ils sont arrêtés devant nous et j’émerge de ma torpeur en entendant Jacques qui me dit que le sommet est à trois minutes.
Les visages s’éclairent. Malgré la neige et le temps bouché nous sommes très heureux de toucher au but. Nous y avançons tous ensemble. Tout le monde est au sommet, c’est un dôme de schistes et de marbres mélangés de neige qui s’accumule et corniche à l’est. Daniel a l’air vraiment soulagé et satisfait. Il est 14h00. Un Russe me tend deux abricots confits qu’il faut se placer à gauche et à droite du palais (selon une coutume locale ?).
Je n’ai que la force de manger une barre de céréales. J’attends le camp 2 pour une véritable régénération, toute relative je le sais… Vite nous prenons des photos pour un flash au sommet à 6230m selon les altimètres. Le temps est mauvais, il neige et la visibilité est nulle, c’est le jour blanc. La neige a déjà effacé nos traces et nous descendons lentement à cause des pentes raides dans lesquelles nous nous mettons en pointes avant. Ça ne se passe pas trop mal mais j’étouffe littéralement à chaque difficulté. La descente n’en finit pas. Nous retrouvons une corde fixe ensevelie pour passer un passage très raide. Daniel marche au GPS pour retrouver le camp 2 et tout le monde suit en silence dans l’opacité et le froid.
Derrière une bosse, je suis presque abattu de ne pas trouver le camp. Encore une remontée… Je rame à chaque pas. Mais voilà enfin le camp 2 dans la neige fraîche ! Rentrés dans notre tente, nous nous congratulons avec Xavier et Philippe. Philippe a bien tenu le coup malgré sa blessure. Je suis fatigué et déshydraté. Je sais qu’une 2e nuit à 5700 m va être difficile avec les efforts accomplis.
Jeudi 19 août : BC 3300 m
Après une nuit moyenne pour moi, nous nous levons assez tôt pour démonter le camp 2. L’objectif est de rejoindre le camp 1, de le démonter et de descendre à l’ABC où l’on déjeunera avant de continuer jusqu’au camp de base, soit une descente de 2400 m ! Nous pressons l’allure car les pentes que nous allons traverser sont exposées aux avalanches. Encore une fois, le temps se couvre. Mais la tente du camp 1 se rapproche rapidement, Daniel et les Russes vont y rester un moment pour tout démonter. Nous poursuivons directement vers le camp de base avancé. Nous ne sommes pas encordés et la neige se réchauffe, il faut faire attention. Il n’y a plus aucune trace. Toutes les cordes fixes sont ensevelies. Heureusement nous bénéficions de quelques éclaircies qui nous permettent de nous diriger. Certains voulaient couper dans la combe qui donne sous les séracs avant la remontée, mais je reste bien à droite sur l’épaule et traverse bien plus bas, presque arrivé à une gigantesque construction de séracs sur le glacier inférieur. C’est le bon chemin. Nous arrivons à la barre rocheuse qui surplombe l’ABC. Je pars en premier car je veux tracer dans les rappels. Mais je me trompe cette fois d’itinéraire et me retrouve sur une arête inconnue devant des entonnoirs vertigineux. Philippe retrouve un signal en pleine pente entre des crevasses, cela passe par là. Je suis quitte pour remonter quelques dizaines de mètres avant de poursuivre la descente aux tentes de l’ABC, toutes proches.
C’est la fin de notre épopée en altitude et nous nous déséquipons. Sacha nous rejoint et nous dit que nous partirons avec lui à 16h00 pour le camp de base. Daniel et Slava resteront à l’ABC cette nuit pour organiser le matériel.
Un beau rappel dans un couloir, puis une arête de neige, une arête de schistes et d’ardoises délitées… La descente nous impressionne. Je me demande comment nous avons pu monter par là huit jours plus tôt avec plus de 20 kg de matériel, il n’y a pratiquement pas de sentier et les ardoises partent dans tous les sens. Plusieurs d’entre nous dont moi se vautrent dans ce pierrier où heureusement nous perdons vite du dénivelé.
Et c’est une habitude, il commence à neiger ! Cela se transforme en pluie dans la descente. Elle nous accompagne sur le glacier et la moraine jusqu’au BC. La perte d’altitude nous rend de l’oxygène et nous retrouvons plus de souffle. Nous marchons sous la pluie au milieu de pénitents de glace et nous recherchons le passage équipé de corde pour quitter le glacier. Je m’aventure plus à droite et retrouve un cairn puis la corde en contrebas mais je ne mets pas mon prestige davantage en valeur car je me paye une glissade monumentale dans la pente de glace au milieu des cailloux. C’est la fin des difficultés. Nous sommes maintenant sur la moraine et descendons vers le BC avec la pluie. Nous sommes accueillis très chaleureusement par les occupants du camp de base qui nous serrent les mains et nous félicitent pour le sommet. J’en suis ému. Nous retrouvons nos tentes et nos matelas avec déception car tout est un peu mouillé. Je troque chaussons et coques pour les chaussures de rando, cela fait tout drôle.
Le repas est un régal : une tranche d’aubergine grillée sur une tranche de tomate avec mayonnaise, purée et viande de bœuf. Nous trinquons à la vodka et Héléna, la cuisinière, nous apporte un magnifique et délicieux gâteau représentant le sommet et les trois camps marqués par des petits drapeaux, le camp de base y est aussi avec de petites tentes en sucre. Darhia nous dit que tout le monde attendait notre retour avec impatience ; à part un groupe de treakers ils n’ont vu personne en notre absence. Les conditions restent difficiles : outre la pluie qui n’en finit pas, nous apprenons qu’il n’y a plus de gaz au BC. Bref il fait froid, et si nous avons mangé et bu, nous sommes bien crados. Aucune envie de rejoindre les tentes humides.
Vendredi 20 août : BC 3300 m
Tout le monde attend l’hélico pour rentrer au BC de Karkara, mais la météo n’y est pas, il fait froid et humide. Liaison radio à 9h00 : il faudra rester au BC au moins jusqu’à demain car l’hélico ne décollera pas aujourd’hui.
Cette annonce a un effet dévastateur et paniquant sur notre cuisinière qui ne sait comment nous nourrir aujourd’hui sans gaz. Nous découpons les piquets de quelques tentes pour un feu sous une grosse gamelle où mijotera une soupe, c’est tout ce que nous aurons, aussi, je liquide dans la journée mes sucreries ramenées de la haut. Durant la journée je fais quelques balades le long des torrents. On se caille.
Puis c’est le retour de Daniel et Slava qui se sont pris une grosse averse de neige à l’ABC et qui en ont bavé pour descendre. Heureusement que nous sommes maintenant tous en bas, une journée de plus au camp 2 et nous restions bloqués là haut…
Le jour tombe, il fait froid, on s’endort dans le mouillé, je n’ai plus rien de sec.
En pleine nuit je sors de la tente, le double toit est dur comme tôle. Il gèle et le ciel est étoilé, on devrait pouvoir partir demain. Quelques temps après, le vacarme d’une avalanche me sort de mon sommeil. Je gamberge pour évaluer si une avalanche peut nous toucher. L’emplacement du camp est bon mais le grondement continue et j’attends qu’ils s’arrête pour me détendre. Une heure plus tard, rebelote ! Encore un bruit fracassant au dessus de nous. Cette fois c’est parti de plus près et Antony se réveille également.
Samedi 21 août : Karkara 2200 m
Le réveil est sonné en fanfare avec la première liaison radio qui annonce l’hélico dans 45 min.
Cette fois on va quitter cette glacière. Toute l’équipe pose pour une photo du BC, j’ai une tête bouffie et fatiguée. Ça y est, on entend le ratata de l’hélico qui remonte la vallée. Tout le monde s’active. C’est la délivrance… Pourtant, au moment de monter à bord, je donne un dernier salut aux sommets, et soudain, juste avant d’empoigner la rampe, c’est un adieu émouvant et tenace que je prends en pleine poitrine.
30 min plus tard, nous débarquons à Karkara, à 2200 m d’altitude et tout de suite arrivent les odeurs d’herbes et de la terre que nous avons quittée durant 15 jours. Il souffle un vent agréable et nous enlevons quelques couches de vêtements désormais inutiles. Vite nous déballons nos affaires humides pour les suspendre en un vaste étalage aux couleurs variées. Je me roule au sol en riant « de l’herbe !… de l’herbe ! ». On peut enfin se laver au sauna.
L’après-midi de jeunes garçons Kirghizes nous louent des chevaux pour 3 $ de l’heure et nous partons en vadrouille dans les pentes sauvages de la montagne. Mon cheval est bien petit pour moi et je ressemble à Sancho Pancha ...
La soirée est très sympa. La vodka nous abreuve pendant que nous chantons des chansons russes et françaises. C’est la fin, c’est la fête. Tout le monde est fait.
Dimanche 22 août : Almaty
Nous traversons la rivière et suivons la piste. Les adieux avec les Russes sont émouvants. La campagne kirghize m’apparaît plus chatoyante que jamais.
Repos à Almaty, nous y visitons une sorte de marché aux puces où l’on trouve légumes et objets divers. J’achète des fromages que j’ai encore à la maison un mois plus tard… Il fait chaud, je suis un peu abattu je ne réalise pas ce que nous avons vécu et que j’ai les pieds gelés. Je ne m’en suis pas rendu compte en haut et cela va se préciser à l’aéroport d’Istanbul. Il n’y a pas de traces, mais c’est bien ennuyeux. En attendant, les filles d’Almaty sont toujours aussi sexy et la bière coule à flot au restaurant de notre dernière soirée au Kazakhstan.
Auteur : Paul
Avis et commentaires
J’ai eu toute la plante des pieds gelée, mais au 1er degré. C’est déjà assez impressionnant. ç’est revenu au bout de 2 ou 3 mois je ne me rappelle plus.
A+
Salut Paul. Puisqu’on y revient, que sont devenus les pieds gelés ?
Ok ...merci beaucoup...je vais voir...bonne continuation
oui Allibert. mais je crois qu’ils ont abandonné ce sommet à cause de la météo difficile. A vérifier.
Bonjour
Votre expé a été trés agréable à lire
9a m ’a donné envie d y aller.
Etes vous paseer par une agence ? et laquelle éventuellement ?
Cordialement
Merci Agarock,
du coup j’en ai profité pour les revoir 😉), c’est un bon souvenir !
le film devrait te plaire également. La 2° partie est en lien ici la première tu la trouveras sur dailymotion.
a+
impressionnantes photos ! j’adooore !
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