Au jour le jour
Accès : gare de Bourg-saint- Maurice, transfert en minibus jusqu’à Valnontey.
Carte : Claude Dubut / Alpes magazine
La maison des gardes du parc du Grand Paradis au lieu-dit Alpe Levionaz Inférieur (2 289 m) en redescendant dans le Valsavarenche.
Il y en a bien, du monde, sur la route qui mène à Valnontey en ce dimanche d’août. Les deux derniers mots suffisent à en expliquer la raison. Vite, nous filons nous cacher à l’ombre de quelques mélèzes le temps de grignoter un bout. De la fontina et du jambon d’Aoste, histoire de nous mettre dans le bain. Et de nous donner des forces pour les huit cents et quelques mètres de dénivelé qui nous séparent du premier refuge : Vittorio Sella. Un nom qui renvoie aux grandes heures de l’alpinisme valdôtain. Posée au creux du vallon du Grand Lauson, la bâtisse a vu passer son lot d’ascensionnistes et autres taquineurs de glaciers. De quoi aborder cette traversée avec humilité. Pas un nuage pour venir diluer le bleu du ciel à l’heure où nous nous mettons en marche. Le gardien du refuge m’avait prévenu : « Il fera beau jusqu’à vendredi. »
À peine le temps de faire chauffer la machine que, déjà, une silhouette cornue s’évade sur le versant. Le bouquetin, autrefois à deux doigts de l’extinction, a commencé ici sa longue reconquête des Alpes avec la création en 1856 par Victor-Emmanuel II d’une réserve royale de chasse dédiée à son trophée favori…
Un siècle et demi plus tard, on compte près de 50 000 individus, dont 3 000 sur le seul massif du Grand Paradis. Quelques dizaines de rencontres plus loin, nous approchons du col Lauson (3 296 m). La fenêtre sur le Valsavarenche voisin est taillée dans des passages schisteux à vous donner des sensations. Reste à se laisser glisser d’un bon kilomètre pour rejoindre les mélèzes d’Eaux-Rousses. Nous sommes dans la vallée d’Aoste, dont la langue originelle est le franco-provençal et la langue adoptée, l’italien. Toute la toponymie est donc en français.
Au Plan de Rosset, dans le vallon supérieur du Nivolet (Valsavarenche), le lac Leità (2 699 m). En arrière-plan, le glacier de Basei.
Départ à la fraîche obligatoire, pour cette montée au Grand Collet. À peine le soleil tape-t-il sur nos têtes que notre train de marcheurs rétrograde d’une bonne vitesse. Les mélèzes sont vite derrière nous et une partie de slalom s’engage avec les pans de roc qui accidentent l’abrupt versant. La première terrasse donne une impression grisante : à la seule force de nos jambes, nous avons vaincu la vallée. Un nouveau raidillon nous fait vite redescendre de nos grands chevaux. Puis un autre courber l’échine. Au pied du col, on s’autorise à relever la tête pour découvrir le maître des lieux : le Grand Paradis, le seul 4 000 du massif dans ses habits de glace. Là-haut, une cordée est sur le point d’en atteindre le sommet. Quant à nous, nous lui tournons le dos pour filer vers le Plan de Nivolet.
Un temps, nous délaissons la vallée, faisant semblant de nous perdre dans le chaos des moraines et de roches rabotées. Ici, une mère chamois et son jeune déguerpissent à notre approche. Là, un lac à l’eau turquoise offre un bain providentiel. Jusqu’à présent, les glaciers nous toisaient, perchés sur les hauts de ce massif au nom... inaccessible. Ce matin, voilà qu’ils nous enserrent comme pour nous apprendre que ce sont eux les artisans du paysage que nous traversons pour le quatrième jour consécutif.
Millénaire après millénaire, ils ont martyrisé les flancs de l’alpe pour plaquer leurs moraines sur lesquelles nous avons installé nos alpages. Et au creux desquelles se sont formés les lacs qui égaient ce paysage de roc. Avec le Grand Paradis qui s’y reflète, ceux du Plan de Rosset donnent dans le grandiose. Lignes rondelettes, vertes prairies et linaigrettes en guise de mise en bouche, avant d’avaler l’âpreté du col. Il fait chaud, au point que l’envie d’ombre prend le pas sur l’appétit. Un énorme bloc, abandonné par quelque glacier disparu, arrive à point nommé. Nos estomacs contentés, l’appel du houblon se fait ressentir. La terrasse du refuge Benevolo n’est plus très loin…
Nous partons à l’assaut de la muraille rocheuse qui soutient le vallon de la Goletta. Virage après virage, nous nous élevons pour gagner une mer de cailloux, que dis-je, un océan de blocs au fond duquel apparaît le col de Bassac Déré. Déferlant du sommet éponyme, le glacier de Goletta se reflète dans son lac. Nous profitons de la fraîcheur si bienvenue. Au cinquième jour de notre périple, toujours pas l’ombre d’un nuage à l’horizon. Ce sera donc le Bec de la Traversière et ses 3 337 mètres. Ici, au coude de l’arc alpin, le panorama embrasse des Écrins jusqu’au mont Rose. Nous resterions bien, mais la descente est encore longue et le glacier de Gliairetta promet d’accrocher le regard. Après le roc et la glace des derniers jours, la descente dans le Valgrisenche est la douceur même. La piste imite les méandres du torrent pour rejoindre le hameau de San Leonardo dont les baraques envahies par les épilobes aguichent le passant dans l’espoir d’être tirées de la ruine.
Nous grimpons dans le vallon de Saint Grat. Les rebonds du torrent au milieu de l’alpage ont du mal à calmer les ardeurs du thermomètre qui grimpe et grimpe encore. Quatre cents mètres plus haut, nous abordons avec une joie timide le dernier raidillon. Quand apparaît, depuis le col du Mont, le vallon de Mercuel, un soulagement envahit le groupe. Non que la France nous ait manqué, mais parce qu’il est bon que la montée se termine. Nous faisons une pause près de l’ancienne caserne du capitaine Mathieu – le col du Mont et son prolongement le Valgrisenche furent un grand axe de circulation entre la France et l’Italie, ce qui entraîna leur militarisation côté italien à partir de 1872 –, avant de filer vers le refuge de l’Archeboc.
Le lac, le glacier et la Pointe de la Goletta, dans le val de Rhêmes (vallée d’Aoste). Comme tous les glaciers alpins en dessous de 3 500 m d’altitude, il subit un fort recul qui a entraîné l’apparition de ce lac à 2 700 m. De là, le chemin monte au col de Bassac Déré (3 082 m, point de passage entre le val de Rhêmes et le Valgrisenche) aujourd’hui déglacé.
En montagne plus qu’ailleurs, on ne joue jamais longtemps les blasés. Monter à la fraîche pour aller admirer la surface du lac Noir à demi baignée dans l’ombre. Puis passer un col, encore. Et découvrir l’immense tourbière du vallon de la Sassière. Au milieu de l’ancien lac comblé par la végétation, le hameau éponyme trône sur son îlot végétal. Il y a peu, on conservait le lait dans ces caves inondées qui bordent le chemin. Le torrent sinueux nous promène à travers
la pelouse jusqu’à la chapelle de Saint-Pierre-aux- Liens. Une dernière fois, nous nous mettons en quête d’un coin ombragé. Pour la première fois de la semaine, un cumulus bourgeonne au-dessus du sommet du mont Pourri.
Texte et photos Johannes Braun / Alpes magazine
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