Au jour le jour
Jour 1 : val Campo Di Dentro (1334 m) - Refuge Tre Scarperi (1626 m)
Jour 2 : refuge Tre Scarperi (1626 m) - Refuge Locatelli (2405 m) - Col de Lavaredo (2454 m) - Pina di Cienga (2522 m) - Refuge Locatelli (2405 m)
Jour 3 : refuge Locatelli (2405 m) - Val de Landro (1406 m) - Strudelsattel (2200 m) - Refuge Prattopiazza (1991 m)
Jour 4 : refuge Prattopiazza (1991 m) - Gaiselleite (2257 m) - Col Cocodain ( 2332 m) - Refuge Biella (2327 m)
Jour 5 : refuge Biella (2327 m) - Vallon Scuro (1758 m) - Refuge Fodara Vedla (1966 m) - Refuge de Fanes (2060 m)
Jour 6 : refuge de Fanes (2060 m) - Col de Medesc (2533 m) - La Villa Stern (1468 m) - Refuge Gardenaccia (2050 m)
Jour 7: refuge Gardenaccia (2050 m) - Pas de Gardenaccia (2548 m) - Refuge de Puez (2475 m) - Vallon de Langental (1620 m)
Carte : Claude Dubut / Alpes magazine
Au premier jour de la traversée, le lac dei Piani inférieur (2335 m) sur fond de Crodon dei San Candido (2 891 m), dans les Dolomites di Sesto.
La chanson est différente de celle à laquelle on s’attendait. La radio grésille, mais c’est bien de l’allemand qui passe sur les ondes. Pourtant, tout y est. Les prairies de fauche, tapies à l’ombre des mélèzes, les greniers en rondins prêts à accueillir le foin si la pluie venait à tomber. Et, à portée de regard, les immenses aiguilles calcaires qui peuplent l’imaginaire quand on prononce le nom de ces montagnes. Dolomites. Le soir venu, le repas ravive le doute. En primo piatto, des pâtes al dente, en segundo, un knödel bien tyrolien. Le trek commence à la croisée de deux mondes.
Le soleil éclaire à peine la Rocca dei Baranci quand nous sautons du lit. À la fraîche, nous longeons le torrent pour nous lancer dans la montée. Les arbres se raréfient, pour disparaître complètement au passage d’un verrou aux rochers bien polis. Une, puis deux, et la petite dernière. Les Tre Cime di Lavaredo apparaissent, trônant au milieu d’un désert de pierre. Nous ne sommes pas les seuls à être venus saluer les célébrités. Au vu de la foule qui se déverse autour du refuge Locatelli, nous préférons filer manger sur une petite terrasse près du lac de Lavaredo. L’illusion est parfaite, comme si nous étions seuls. Dans un grandiose théâtre d’éboulis, nous rejoignons Pian di Cienga, pour rebasculer vers les eaux bleu sombre du premier des lacs dei Piani. Là-bas, au bout d’un long sentier en balcon, Locatelli nous attend. De la foule de la journée ne restent que les randonneurs qui, comme nous, continuent vers d’autres Dolomites. Et les photographes venus capter les trois belles de pierre dans leur robe de soirée.
Les trois cimes donnent des airs de lac à cette flaque posée sur les balcons du val Rinbon. Un reflet en guise d’au-revoir. Nous descendons d’un étage, dans les cembraies du val di Rienza pour rejoindre Landro. C’est sous le soleil implacable de la fin de matinée que nous abordons l’ascension du flanc est du Strudelkopf. Sur ce versant autrefois stratégique, un vaste réseau de fortifications rappelle qu’avant la Première Guerre mondiale, nous étions ici en Autriche-Hongrie. C’est par l’un des tunnels que nous débouchons sur le vertigineux passage aménagé pour relier le Strudelsattel. Cet étroit balcon, renforcé de quelques passerelles en bois, nous permet de contourner la montagne pour remonter vers le col éponyme et sa casemate en ruines.
Prattopiazza. Littéralement la « place de la prairie ». Une vaste dépression tout de vert vêtue, où le manège des casse-noix mouchetés anime les bosquets de pins cembros. Un repos pour nos yeux de randonneurs. Dopés par la fraîcheur matinale, nous grimpons à bon rythme sur les flancs de la Croda Rossa. À l’impressionnante tête rocheuse s’ajoutent les veines ferrugineuses qui teintent les flancs du sommet de nuances rouge sang. Ici, les « montagnes pâles » ne portent pas bien leur nom. Nous atteignons les vestiges rocheux d’un glacier, pour nous engager sur ce qui restera le plus beau balcon du parcours
De ravine en ravine, de calcaire immaculé en marne jaune vif, nous évoluons suspendus au-dessus de la vallée jusqu’à la cabane de Rossalm. Reste à nous hisser sur la crête du monte Muro, et à jouer les équilibristes jusqu’au refuge Biella. Après la parenthèse colorée de l’après-midi, le millefeuille de dalles confère au paysage une étonnante unité. Cinq heures du matin. Trois faisceaux grimpent le long de la crête de la Croda del Becco (en allemand Seekofel, 2810 m). Un lever de soleil au sommet en guise de mise en jambes. Le petit déjeuner avalé, nous descendons au son des sifflements de marmottes vers le lac de Foses. Encore plongé dans l’ombre de la Remeda Rosses, le miroir d’eau reflète à merveille la petite cabane posée sur ses bords. Une collègue accompagnatrice m’a dit récemment que l’endroit serait sa maison de retraite. Comme je la comprends !
Nous passons le pas de Grisc pour plonger dans les pins mughos vers le vallon Scuro. C’est le long d’une ancienne voie militaire que nous remontons vers le hameau de Fodara Vedla et ses beaux chalets de bardeaux. Entre l’univers minéral d’hier et cet environnement de pelouse et de pins buissonnants, le contraste est saisissant. Une dernière descente vers Pederü (1 540 m) et nous gravissons, assommés par le soleil, les 500 mètres de dénivelé qui nous séparent du refuge de Fanes. Ce soir, la bière est bienvenue et le sommeil profond. Du calcaire, rien que du calcaire... Pourtant, quelle diversité ! Une différence d’inclinaison des dalles, et le paysage change du tout au tout.
Ce matin, elles ne sont plus dressées, mais affleurantes : tantôt lissées par l’érosion glaciaire, tantôt striées de milliers de rigoles. Nous suivons le chemin de l’eau pour rejoindre le col de Medesc, d’où s’ouvre la vue sur le village de Villa Stern. Mille mètres à descendre pour remonter vers le Gruppo del Puez [ gruppo a le sens de massif, NDLR], dernière étape de notre traversée.
Notre cheminement vers le haut du Val Ferret, au fil de la Doire pétrifiée par le gel, est un enchantement. Nous sommes seuls
au monde, au fond d’un vallon sauvage et pourtant accueillant.
Cruel ? Le prix à payer pour passer de Dolomites en Dolomites à la force des jambes. Une raide ravine, puis l’alpage qui s’étend jusqu’au clocher. Pas question de traîner là, car les nuages se chargent tout autour. Tous ensemble, au métronome de nos pas, nous rejoignons Gardenaccia. Quand l’orage éclate, nous sommes au chaud derrière les vitres du refuge Gardenaccia (ou Gherdenacia, 2 050 m). En regardant par la fenêtre ce matin-là, je mets une fraction de seconde à réaliser. Réduits à l’état d’îles, les sommets du Gruppo di Braies flottent sur une mer de nuages tandis qu’au-dessus de nous, le calcaire du Puez semble d’une pureté cristalline. Pas de doute, c’est au lendemain de la pluie que les Dolomites sont le plus extraordinaires, le plus affolantes de beauté… Ici, la carte postale ou le poster géant sont une réalité que l’on touche du doigt !
À peine effeuré par le soleil, le sol humide libère sa vapeur, accentuant l’effet éblouissant des rayons matinaux. Onze silhouettes montent à travers les pins, les pensées tournées vers ce que cette dernière étape nous réserve. Au passage du col, le regard plonge. Nous contournons le profond canyon de Vallunga pour un dernier espresso au refuge Puez avant de redescendre rejoindre la foule des randonneurs d’un jour. S’ils savaient quelles beautés réserve une semaine de marche dans ces Alpes de cristal…
Texte & Photos Johannes Braun
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